En préparant mon voyage au Japon, je suis parvenu à prendre rendez-vous avec Masanao Hirayama, alias Himaa, dont j’avais repéré le travail depuis longtemps grâce à un zine qu’il avait publié chez Nieves. Je le retrouvais dans un café un peu vieillot rempli de vieilles dames qui buvaient du thé et en riant fort. Il a bien voulu que l’interview soit enregistrée, mais ne voulait pas être filmé. Il a répondu à mes questions et m’a même emmenée dans les endroits qu’il aimait à Shimokitazawa, le quartier où nous nous sommes retrouvés. Chaque fois que nous avons parlé d’un projet qu’il avait réalisé au Japon, c’était la plupart du temps en collaboration avec son ami l’artiste Ken Kagami. Lorsque nous nous sommes quittés, il m’a dit : « Tu devrais visiter son magasin, Strange Store. »
Je n’étais pas totalement perdu, car on peut trouver l’adresse en ligne, mais en y arrivant, j’y trouvais un immeuble résidentiel. Sur un poteau, devant l’adresse, je trouve une affichette avec un dessin de Garfield marquée : « Stange Store, Used & Original Clothing —> Room No 301 ». Je suis la fleche, qui me conduit à un autre panneau, je monte deux étages et, au bout d’une coursive, je trouve une porte ouverte, peinte à la bombe avec un autre Garfield. À l’intérieur se trouve le royaume de Ken Kagami. L’espace ressemble à un tout petit appartement dont les murs auraient été abattus. Le plafond semble bas, mais c’est peut-être parce que la décoration va du sol au plafond sans qu’aucun espace ne soit laissé vide. C’est un mélange de tout ce qui représente Ken Kagami : des vêtements vintage comme l’annonçait l’affichette, beaucoup de ses dessins et peintures sur des matériaux très divers (depuis des autocollants, jusqu’à des enjoliveurs), des jouets tirés des dessins animés qui l’inspirent, et bien d’autres choses encore.
Je me suis présenté comme quelqu’un qui s’intéresse aux zines et j’ai demandé si on pouvait faire une interview filmée, en disant que je venais d’en faire une avec Himaa. Il m’a demandé si je l’avais filmé et… j’ai menti, j’ai dit « Ahem », ce qui lui a laissé penser que j’avais filmé son ami. Nous avons convenu que s’il n’était pas à l’aise pour répondre en anglais, il répondrait en japonais. C’était assez idiot, car même si je sais demander mon chemin en japonais, je ne comprends pas ce qu’on me répond !
La vidéo commence par un travelling de tout le bazar scotché derrière son comptoir près de l’entrée et s’arrête sur lui :
Bonjour Ken. Comment vas-tu ?
Bien.
Tu peux commencer par te présenter ?
Je m’appelle Ken Kagami.
Tu es artiste et japonais et nous sommes ici à Tokyo dans ta boutique. Tu peux nous parler de tes zines ?
Zines aaah, Muzukachi dessne…
Vraiment, c’est compliqué d’en parler ? Alors peut-être que tu peux dire quelques mots sur la boutique ?
…. [Il répond en japonais, mais je n’ai compris que le mot tomodachi]
Je crois que tu as dit que tu l’as fait pour tes amis, c’est une boutique de vêtements d’occasion. On y trouve des zines et beaucoup beaucoup de choses sur les murs.
Oui, tout ça, c’est ma collection.
Ce n’est pas à vendre ?
Oui.
Quand as-tu commencé à faire des zines ?
Aaah, il y a longtemps, il y a dix ou quinze ans.
Avais-tu vu des zines quelque part ? Des zines musicaux ? Quelle a été ta source d’inspiration ?
La télévision, les informations…
Les mangas ?
Non.
On peut faire une visite de la boutique ?
Avec moi ?
Il montre différents objets, d’abord une veste bombers avec un drapeau américain et l’inscription Strange Store, Kegammi en lettres gothiques. Puis il montre sa collection de goodies Norupi, un personnage du genre de Hello Kitty. Dans un coin de la boutique se trouve une caisse en plastique jaune avec un panneau Tsutaya [Tsutaya étant une chaîne de librairie assez chic à Tokyo]. Lorsque je l’interroge à ce sujet, il m’a répondu qu’il s’agissait de zines de ses amis. Sur la table à côté se trouvent quelques-unes de ses publications, des autocollants dessinés à la main avec des blagues intraduisibles, des mini zines de lui, des petits posters vendus pas cher et des casquettes reprenant le dessin de Garfield vu à l’extérieur. Puis on arrive au coin Supreme™ avec des logos Supreme™ dessinés à la main sur une grande variété d’objets parfois improbables, et on finit le tour pour revenir à notre point de départ. D’une certaine manière, cette interview et cette visite sont à l’image de Ken Kagami, minimalistes, drôles et hyperactifs.