Paris,
le 28 septembre 2016
Oui, je m’appelle Pascaline Jessica Knight, et je suis une artiste qui travaille principalement avec la sérigraphie. Par le passé, j’ai fait beaucoup de travaux d’installation, un peu de vidéo, quelques performances et interventions. Je fais actuellement une maîtrise, un MFA à l’OCAD de Toronto.
Oui. Et nous sommes assis à Paris en ce moment, dans le jardin des Archives nationales, qui est assez pittoresque et charmant. Ce que je fais depuis longtemps, c’est de la sérigraphie, mais plus encore, c’est de faire des petits livres qui ont toujours été faits par moi-même et autoproduits. Dans les années 2000, j’avais une micro-édition appelée Ash Fault Press que je faisais avec Brian Sanderson, et ça a duré un peu. Mais toute seule, j’ai continué à faire ces petits livrets.
Je n’ai jamais publié d’autres artistes ; c’était toujours une démarche personnelle. Souvent, un thème naissait dans mon esprit et je réfléchissais à une mise en page. Je travaille actuellement avec une écrivaine suisse appelée Claudine Gaetzi, et c’est la première fois que je travaille avec quelqu’un d’autre. Elle est poète, et c’est la première fois que j’utilise les poèmes de quelqu’un. Je peux jouer avec la mise en page, mais je ne peux pas modifier le texte comme je le fais dans la plupart de mes livres.
Je ne suis pas sûre d’appeler ça une appropriation, c’est plutôt une adaptation pour moi. J’ai découpé le magnifique petit texte de Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique. Et j’ai pris un autre titre de Giorgio Agamben L’Homme sans contenu et je l’ai transformé en La Femme sans contenu. J’ai vidé l’intérieur du texte, en ne gardant que les mots du côté de la marge, le premier à gauche et le dernier à droite. Ça laisse donc une silhouette au milieu, qui correspond bien aux stéréotypes féminins que nous avons.
Une Vénus de texte.
Ça s’appelle 600 247 permutations de M. Duchamp. Pour celui-ci, j’ai créé un collage de 10" x 10" inspiré de Duchamp, que tu peux voir sur la couverture. On dirait que Marcel Duchamp a fondu dans une structure. Et à l’intérieur, tu peux trouver l’une des 600 247 permutations que tu peux faire avec les lettres de son nom.
C’est plutôt une édition ouverte. Je continue à en faire, mais je n’ai même pas dépassé la centaine. Je te dirais si l’édition touche un jour à sa fin. Il y a un super long chemin à parcourir… À partir de cette idée de permutation, j’ai trouvé des mots qui pouvaient être placés dans un format carré et être lus dans différents sens, comme le feraient les poètes concrets, en choisissant une lettre, en travaillant sur sa forme. Je suis évidemment fascinée par Le Livre, le livre ultime que Stéphane Mallarmé a imaginé dans les détails, mais n’a jamais réalisé. Il avait cette volonté de faire Le Livre, un livre qui contiendrait le monde entier. Un autre de mes livres s’appelle Le Poids des mo®ts et peut être lu comme Le Poids des mots ou Le Poids des morts. Les mots que j’ai choisis pour ce livre ont un certain poids.
L’édition, ou le livre d’art, est toujours au cœur de mon travail. C’est presque comme si mon processus de réflexion était construit autour du livre : le fait que le livre ait un dos, qu’il se lise de gauche à droite, ce que les coins offrent en termes de potentiel de signification, et les séparations et associations. Lorsque mon travail n’implique pas la publication en soi, il fait toujours partie d’un processus de publication.
Eh bien, il y a une grande liberté. Et plus j’ai de liberté, plus je peux être créative. Je n’aime pas qu’on me dise ce que je dois faire. Pour moi, cela fait aussi partie d’une approche underground, et c’est aussi une forme de résistance. Je peux imprimer la quantité que je veux, ça peut être de travers, ce qui est quelque chose que je n’arrive pas à éviter, la plupart de mes trucs sont de travers. Et aussi, juste pour expérimenter, pour pouvoir imprimer sur différents matériaux en utilisant la sérigraphie ou l’impression Riso. J’ai eu un petit livre qui était plié en un sous-vêtement, et un sous-vêtement était imprimé dessus. Ce n’est pas quelque chose que je pourrais faire avec un éditeur commercial. Cela me convient tout simplement d’avoir cette liberté.
En 1999, lorsque nous avons lancé Ash Fault Press.
Principalement, l’envie de dire quelque chose et de le mettre en avant. Je faisais aussi partie de ces foires d’art artisanal underground qui avaient lieu autour de Noël. À l’époque, je faisais déjà des livres ; je fabriquais ces journaux dans lesquels il n’y avait rien d’écrit. Je publiais aussi quelques nouvelles. Nous en avons publié une chez Ash Fault Press intitulée No Matter What – c’est un excellent message. La motivation, c’était surtout l’expression de soi. C’était une façon alternative de parler des choses d’une manière personnelle qui ne serait même pas dictée par « la demande » ou une tendance.
Je n’y pensais pas comme ça pendant longtemps, mais je réalise maintenant que l’écriture est une composante forte de mon travail et de ma façon de penser. La coexistence des langues est aussi très importante ; tous mes livres sont un mélange de français et d’anglais et ça me fait aussi passer entre les mailles du filet. Je vais à Lausanne demain pour représenter la culture canadienne-française.
Très québécois, ce qui est encore plus que canadien, car le Canada se dit bilingue, mais il ne l’est absolument pas. Si un endroit était bilingue, ce serait quelques enclaves au Québec. Par la force des choses, nous avons dû devenir bilingues. Un jour, on m’a proposé de publier un de mes grands livres en sérigraphie. C’est une juxtaposition de textes français et anglais, qui ne sont pas des traductions, c’est une sorte de poème franglais, une sorte de croisement entre les deux langues. Et en Angleterre, quand ils ont vu qu’une partie du poème était en français, ils ont fait marche arrière, et même en France, l’anglais leur a fait peur. Ils voulaient traduire les morceaux qui étaient en anglais, et je leur ai dit que si je devais faire une traduction moi-même, il faudrait que j’écrive tout un autre texte pour que cela fonctionne.
C’est important que mon travail offre quelque chose. Aussi, j’ai abordé beaucoup de sujets tabous ; j’essaie de les traiter de manière non linéaire et jamais directe. La raison principale est qu’il y a une réalisation de soi à travers l’énonciation, et je pense que l’écriture est un chemin vers la réalisation de soi. Mes livres sont très ludiques, mais en même temps, ils traitent de sujets très lourds par le côté. Ils traitent de sujets universels comme la mort…
Tout le plaisir est pour moi.
Paris,
September 28th, 2016
Yes, my name is Pascaline Jessica Knight, and I am an artist who principally works with silkscreen printmaking. I have done in the past a lot of installation work, a bit of video, some performances, and interventions. I am presently doing a master’s degree, an MFA, at OCAD in Toronto.
Yes. And we are sitting in Paris right now, in the garden of the National Archive, which is quite quaint and lovely. What I have been doing for the longest part is silkscreen printmaking, but more so, it is making little books that were always self-made and self-propelled. Back in the 2000’s, I used to have a small press called Ash Fault Press that I was doing with Brian Sanderson, and that lasted for a little bit. But on my own, I kept making these little booklets.
I have never published other artists; it has always been a personal endeavour. Often, a theme would sprout in my mind, and I would think about a layout. I am currently working with a Swiss writer called Claudine Gaetzi, and it is the first time I am working with someone else. She is a poet, and it is the first time that I use someone’s poems. So I can play around with the layout, but I can’t alter the text like I do in most of my books.
I am not sure if I would call it an appropriation; it is more of an adaptation to me. I cut out Walter Benjamin’s beautiful small text, L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique [The Work of Art in the Age of Mechanical Reproducibility]. And I took another title by Giorgio Agamben L’Homme sans contenu [The Man without Content] and I transformed it to La Femme sans contenu [The Woman without Content]. I gutted out the inside of the text, keeping only the margin words, one on the left and another one on the right. So it leaves a silhouette in the middle, which fits well with feminine stereotypes that we have.
A Venus of text.
It is called 600 247 permutations de M. Duchamp. For this one, I created a 10" x 10" collage inspired by Duchamp, which you can see on the cover. It looks like Marcel Duchamp melted into a structure. And inside, you can find one of the 600 247 permutations that you can do with the letters of his name.
It is more like an open edition. I keep making them, but I am not even over a hundred. So I will let you know if the edition ever comes to an end. There is a super long way to go… From this idea of permutation, I found words that could be set in a square format and be read in different directions, like the concrete poets would work, choosing a letter and working on its form. I am obviously fascinated by Le Livre, the ultimate book that Stéphane Mallarmé imagined in detail but never made. He had this endeavour to make The Book, a book that would contain the whole world. Another of my books is called Le Poids des mo®ts that can both be read as The Weight of Words or The Weight of Deaths. The words I chose for this book have a certain weight.
Publishing, or the art book, is always at the core of my work. It is almost like my thinking process is built around the book: the fact that the book has a spine, the fact that something is read from left to right, what the corners offer in terms of potential for meaning, and the separations and associations. When my work doesn’t involve publishing per se, it is always part of a publishing process.
Well, there is a great amount of freedom. And the more freedom I have, the more creative I can get. I don’t like to be told what to do. To me, it is also part of an underground approach and a form of resistance too. I can print the amount I want; it can be crooked, which is something that I can’t help; most of my stuff is crooked. And also, just in order to experiment, to be able to print on different materials using silkscreen printing or Riso printing. I had a small book that was folded into an underwear, and an underwear was printed on it; that’s not something I could do with a commercial publisher. It just works for me to have this freedom.
In 1999, when we started Ash Fault Press.
Mostly, the desire to say something and to put it out there. I was also part of these underground craft art fairs that were going on around Christmas. I was already into bookmaking at the time; I was making those journals that didn’t have anything written in them. I would also publish small amounts of short stories. We published one with Ash Fault Press called No Matter What, which is a great message. The motivation was mostly self-expression. It was an alternative way of speaking to things in a personal way that wouldn’t even be dictated by “the demand” or a trend.
I didn’t think so for a long period of time, but I realise now that writing is a strong component in my work and in my way of thinking. The coexistence of languages is also very important; all of my books are a mixture of French and English, and that also makes me fall into the cracks. I am going to Lausanne tomorrow to represent the French Canadian culture.
It is québécois, which is even more than Canadian, because Canada calls itself bilingual, but by no means it is. If any place were bilingual, it would be a few enclaves in Québec. Par la force des choses, we had to become bilingual. I was once approached to publish one of my big books in silkscreen. It is made of a juxtaposition of French and English text, which are not translations; it is a sort of Frenglish poem, some kind of crisscross between the two languages. And in England, when they saw that some of the poem was in French, they backed off, and even in France, the English scared them off. They wanted to translate the bits that were in English, and I told them that if I were to do a translation myself, I would have to do a whole other type of writing in order to make it work.
It is important that my work offers something. Also, I have touched on a lot of taboo subjects; I try to deal with them in a non-linear and never-direct way. The main reason is that there is a self-actualization through the utterance of expression, and I think that writing is a way towards the realisation of oneself. My books are very playful, but at the same time, they treat very heavy subjects by the side door. They talk about universal subjects like death…
My pleasure.