Sèvres,
le 21 avril 2015
Alors, ce qui m’intéresse dans les Allemands de cette époque-là, des années 1930-40, c’est leur lucidité vis-à-vis du monde dans lequel ils sont. Et puis, à savoir que toute la philosophie que nos générations ont bouffée vient quand même largement de là, en passant par tout le structuralisme. Et donc, à un moment donné, Adorno parle d’anti-Aufklärung, c’est « anti-lumière », et il dit : ce que le siècle des Lumières nous avait promis, c’est-à-dire l’émancipation de l’homme par la culture, en fait, c’est pas vrai, ça ne marche pas et ça fait l’effet inverse. Ça fait « anti-lumière ». Ca fait anti-Aufklärung. Et comme je travaille beaucoup autour des idées d’aliénation. Qui est-ce qui aliène l’homme, notamment à travers les rapports de pouvoir aussi qu’il peut y avoir. Et donc j’avais commencé à faire des choses, des objets qui auraient pu être des objets d’observation, pour observer. Il y a eu des observatoires astronomiques, il y a eu une barque pour aller observer le chantier de l’île Seguin, pour voir l’avancée du Grand Paris. Et puis, je suis parti dans des idées d’aller explorer les abysses de la Seine avec un sous-marin, que j’ai appelé anti-Aufklärung, parce que je me suis dit : voilà, il va aller observer ce qu’il y a dans cette matière noire. Parce que je pense qu’il y aurait une histoire, une chose qui aurait un rapport avec l’inconscient collectif, qui se serait enfoui ou, dans tous les cas, qui se serait déposé dans le fond, dans une obscurité totale.
Donc, le sous-marin était surélevé sur un socle qui tourne très lentement. Pratiquement comme un phare qui passerait au-dessus des têtes des gens et nous qui circulions en-dessous du sous-marin au milieu de toute cette vie avec sa production. C’est comme si on était les dépôts qu’il y aurait en dessous de l’eau, dans les abysses, dans l’obscurité. Qu’est-ce qui se passe dans cette obscurité ? Et dans ces productions, on voit l’autre côté, comment dire… le visible. Enfin, on voit les formes. Il y aurait comme si…
Sèvres,
21 April, 2015
Well, what interests me about the Germans of that period, of the 1930s and 1940s, is their lucidity with regard to the world in which they live. And then, to know that all the philosophy that our generations have eaten up comes largely from there, through structuralism. And so, at one point, Adorno speaks of anti-Aufklärung, which means “anti-light,” and he says: What the Enlightenment promised us, meaning the emancipation of man through culture, is in fact not true; it doesn’t work, and it has the opposite effect. It’s “anti-light”. It’s anti-Aufklärung. And as I work a lot around the idea of alienation. What alienates us, particularly through the power relationships that can exist. And so I started to make things—objects that can be used as objects of observation—to observe. I made astronomical observatories and also a boat to go and observe the construction site of the Ile Seguin and see the progress of “Le Grand Paris.” And then I had the idea of exploring the abysses of the Seine with a submarine, which I called anti-Aufklärung, because I said to myself: I will use it to go and observe what is in this dark matter. Because I thought that there would be a story, something that could relate to the collective unconscious, that would be buried, or, in that case, that would have settled at the bottom, in total darkness.
So there it was; in fact, the submarine was raised on a pedestal that was rotating very slowly like a lighthouse, passing over people’s heads. And, in fact, we, who were circulating all this life with its production, were below the submarine. It’s as if we were the sediments that would have settled under the water, in the abyss, in the darkness. What happens in this darkness? And I think that in our production, OK, we only see the side, how to say … the visible side. I mean, we only see the shapes. It’s as if…