Portland,
le 15 mai 2012
Je suis un écrivain avant tout et cela guide encore tout ce que je fais et tout ce qui compte pour moi. Je veux écrire, et j’aimerais que mes écrits parviennent à ceux qui aimeraient les lire. Si je me suis lancé dans la création d’outils pour l’édition, c’est avant tout parce que les écrits que je considère comme importants n’étaient pas édités, notamment ceux qui doivent être lus pour donner du sens à mon travail. Il y a beaucoup d’écrivains que je fréquente, dont le travail est une part essentielle de mon univers, et sans lesquels mon travail n’a plus de sens. Je me suis donc lancé avec le but précis de donner un public à ces œuvres que je lisais en privé, mais également pour donner du sens à mon travail.
J’ai créé le Studio avec Patricia No qui est aussi écrivain. Nous avions pour objectifs communs d’éditer d’excellents écrits et de les faire circuler. Mais un mois après la création, Mediamatic, une institution artistique d’Amsterdam, m’a demandé d’être le commissaire du Pavillon de Portland à la Biennale d’Amsterdam. Cette biennale a été imaginée comme une critique des biennales, au lieu d’inviter des pays, ils ont décidé d’inviter des villes de second ordre de tous les coins de la planète. Par exemple, ils ont invité Osaka au lieu de Tokyo ou Portland à la place de Los Angeles. Je pense qu’ils ont invité 40 ou 50 villes en tout. Comme je venais de commencer à imprimer des livres avec ces machines, je leur ai proposé de fabriquer une vingtaine de livres originaux avec des artistes que l’on admirait à Portland et de faire de notre pavillon une étagère de présentation de ces bouquins. J’ai choisi de faire comme cela parce que j’étais très excité par ces machines. Cette commande a donc immédiatement modifié notre projet de départ. Nous avons travaillé avec une vingtaine d’artistes différents, des gens qui ont par ailleurs des carrières internationales, parmi lesquels Jessica Jackson Hutchins, Chris Johansson, Johanna Jackson ou M Blash qui font partie de nos artistes portlandiens préférés. Une fois les livres fabriqués, la librairie du Whitney Museum nous a demandé s’ils pouvaient vendre le livre de Jessica Jackson Hudgen. Chacun de ces livres avait été fabriqué comme un objet unique, et non pas produit en masse comme des multiples, mais nous étions heureux qu’ils le vendent. Et c’est donc par accident que, dans un premier temps, nous sommes devenus plus visibles dans le monde du livre d’art que dans celui de la littérature à proprement parler.
Le second aspect, dans la relation entre l’art et la littérature, est bien plus naturel et relève moins de l’accident. Quand on demande à un écrivain de travailler avec nous et qu’on lui dit : « On va imprimer un livre, et si on le vend, on en fera un deuxième », l’écrivain va pleurer et prendre ses jambes à son cou, car il sera très malheureux. Cela représente un énorme changement culturel que nous devons aider les écrivains à traverser. Il s’agit de leur faire comprendre qu’ils peuvent atteindre tous leurs lecteurs un livre à la fois et que le nombre de livres imprimés n’est plus un marqueur de leur renommée. À l’inverse, à chaque fois qu’un artiste entre dans la boutique et jette un coup d’œil aux machines, il a l’air très excité et sa première question est : « Est-ce que je peux faire un livre ? ». De notre côté, nous lui répondons : « Bien sûr ! » Et sa deuxième question est : « Est-ce que je peux faire deux livres ? »
Et donc, les artistes ont su tirer immédiatement parti de ce que nous avions mis en place parce qu’ils sont habitués à une pratique d’atelier. De par la nature même de l’art, ils sont habitués à la production d’objets et ils savent comment travailler avec des machines. Ils connaissent la valeur que peut avoir la minutie portée à la fabrication d’un objet. Alors que les écrivains, eux sont culturellement handicapés de ce point de vue. Ils croient que la valeur de leur travail sera diminuée si leur livre n’est imprimé qu’une seule fois. Nous ne voulons pas nous impliquer dans la production de livres d’art, car nous ne fabriquons pas d’objets artistiques. Nous imprimons des livres, et nous savons que la place qu’ils occupent dans le marché de l’art est différente. Ce qui nous semble le plus facile est de produire des catalogues ou des livres qui portent sur des artistes et qui se vendent en librairie ou dans des galeries et peuvent y être facilement vendus comme des livres au sens plus traditionnel du terme.
Non, ce sont des livres qui ont à voir avec l’art et qui sont souvent pensés par des artistes. Compte tenu de notre mode de fonctionnement, il arrive souvent que l’empreinte de l’artiste soit profondément gravée dans ce qui est produit. Le livre Hit the North, de Victoria Haven, une artiste de Seattle, est un bon exemple. Nous avons travaillé avec elle, et parce qu’elle a en sa possession les dernières feuilles d’un papier de riz japonais très spécial qui n’est plus en circulation, chacun des livres que nous avons imprimés pendant notre collaboration a une page qu’elle a réalisée à la main et que nous avons collée dans chaque exemplaire. Cette décision, tout comme l’ensemble des décisions relatives au design, font partie de notre conception du livre. Un autre artiste avec lequel nous travaillons fabrique des couvertures uniques pour chacun des exemplaires que l’on imprime. Les frontières entre le livre d’artiste et le livre sur un artiste deviennent alors floues.
En fait, notre mode de fonctionnement s’adapte et tente de corriger les idées reçues que l’on peut avoir à propos de l’art et de la littérature. D’abord avec les artistes, qui, une fois qu’ils se sont aperçus qu’il leur est facile de marquer le livre de leur empreinte, se mettent immédiatement à penser aux prix élevés qu’ils pourraient demander, le prix des pièces uniques ou des éditions numérotées et signées. Et nous devons constamment leur dire : « Est-ce qu’il serait possible de produire quelque chose de pas cher ? On pourrait dire qu’il s’agit de l’édition normale, même si tu y laisses ta marque, et si tu veux quand même que l’on produise quelque chose d’unique ou de limité, on le fera. Mais laisse-nous produire aussi une édition normale que nous pourrons imprimer autant de fois que nous le voudrons sans que ton intervention ne soit nécessaire. »
Comme tu le sais peut-être si tu connais notre fonctionnement, lorsqu’une artiste, Victoria, par exemple, vient de Seattle jusqu’à Portland pour travailler avec nous, ils peuvent imprimer son livre à Publication Studio Toronto, car nous partageons les fichiers. Mais s’il s’agit d’un livre d’artiste et que Victoria doit travailler directement dessus, est-ce qu’elle prendra un vol pour se rendre à Toronto ? Est-ce qu’on le lui enverra par la poste ? Ce n’est pas le type de relation que nous voulons avoir. Sur cet aspect-là, nous tentons de faire en sorte que les artistes se sentent à l’aise avec l’idée que parfois leur présence sera requise et que d’autres fois elle ne le sera pas. Nous avons réussi à convaincre les écrivains que le principe de production à l’unité des livres est une opportunité pour eux de mettre en place une vraie économie autour de la littérature. Donc nous n’avons pas de réel intérêt à jouer sur le terrain de la production de livres uniques, et par conséquent de créer une économie faite d’œuvres d’art uniques. Ce n’est pas de cette manière-là que nous voulons vivre.
Dans notre façon de travailler, je les vois très littéralement, avoir de profondes interactions. Beaucoup de nos projets associent des écrivains et des artistes qui, plutôt que de travailler de façon isolée, collaborent étroitement. Le meilleur exemple serait le travail de Jessica Jackson Hutchins, qui est une sculptrice, que nous avons publié. Avec Tom Fischer, un poète avec qui elle est amie depuis de nombreuses années, ils lisent des livres ensemble, et lorsqu’ils lisent ces livres, ils discutent du travail de Jessica et de son processus créatif. Donc, le livre que nous avons édité n’est au fond qu’un résidu de leur amitié. Ce sont des blocs de texte tirés des livres qu’ils ont lus mis face à face avec les images du travail de Jessica qui sont nées de ces conversations, et pour eux, c’est naturel. Mais dans chaque projet, il y a une complexité qui est inhabituelle pour un éditeur traditionnel, alors que nous arrivons à y faire face très facilement parce que nous travaillons sur un seul projet à la fois.
Tous nos livres, et par là, je veux dire tous les livres que les auteurs nous ont permis de déposer sur cette plateforme [parce qu’ils ne sont pas tous d’accord] sont disponibles en intégralité sur un site internet où il est possible de les lire, de les commenter, d’y surligner du texte ou de les annoter. Les lecteurs qui viennent lire le même livre sur le site auront accès à vos annotations et peuvent y répondre ou annoter d’autres parties du texte. Nous avons immédiatement mis en place cette fonctionnalité, car cela fait partie intégrante de Publication Studio, parce que nous avons compris que nous sommes avant tout là pour créer des publics. Notre travail ne consiste pas seulement à publier des livres ou des livres électroniques ou encore à construire une structure particulière. L’objectif de notre travail est très simple : nous nous sommes demandé comment regrouper des personnes provenant d’horizons divers et faire en sorte qu’elles reconnaissent ensemble la valeur du texte qu’elles partagent. C’est de cette manière que ces personnes qui étaient au départ des inconnus se trouvent des points communs et réussissent à dépasser leurs différences pour devenir un public. Il nous a paru évident que cette plateforme serait un outil élégant pour tisser littéralement des liens entre des inconnus. Et bien plus qu’un livre ne pourrait le faire, puisque cette plateforme est un espace accessible à tous ceux qui disposent d’une connexion à Internet.
C’est difficile à dire. À chaque livre correspond un type d’itinéraire particulier. Par exemple, le livre intitulé Special Effects : Advances in neurology de Neil Marcus. Cet homme a vécu la plupart de sa vie sur une chaise roulante, et il a d’abord commencé par publier un fanzine dans les années 1980 dont le titre était Special effects, qui avait pour thème principal la vie des handicapés et ses rapports avec la culture et la politique. Nous avons publié un de ses livres qui a intéressé des gens dans beaucoup de domaines et qui fait aujourd’hui l’objet de cours dans des universités. On peut le voir sur la plateforme puisque soudainement elle devient le théâtre d’une discussion entre vingt personnes du Michigan pour un mois, puis d’une dizaine d’autres personnes de Berkeley.
Ce public est peut-être le même qui a acheté le livre, parce qu’ils avaient à l’étudier pour leur cours, et que dans ce cadre, ils ont décidé d’utiliser l’outil qui était mis à sa disposition pour avoir des conversations en ligne. Mais il arrive aussi que des lecteurs qui n’ont même pas acheté le livre se rendent sur la plateforme. Il nous serait possible, et nous allons peut-être commencer à le faire, de suivre ces trajectoires, en demandant aux gens de s’inscrire avec leur adresse mail. Nous avons été très passifs sur la plateforme, nous n’y allons jamais et ne demandons jamais à personne de le faire à notre place, mais nous commençons à nous demander jusqu’où nous pourrions faire évoluer cet outil. Pour Revolution : a reader, par exemple, nous avons mis en place une structure bien plus élaborée pour créer différents publics autour de ce livre.
C’est un mot auquel il est très important de faire attention, c’est aussi un mot que j’utilise, mais que j’aimerais utiliser moins. Le terme communauté est souvent utilisé pour désigner un rassemblement d’inconnus qui vivent dans une certaine harmonie et ont des liens d’affection les uns pour les autres. Je préfère utiliser le mot « public » à la place, parce qu’un « public » ne dépend pas de l’existence d’une entente ou d’une harmonie entre ses membres. Un public peut être composé d’éléments très conflictuels. Lisa Robertson, une poète canadienne dont j’admire beaucoup le travail et qui a co-annoté Revolution : a reader avec moi, a écrit de très bons essais sur le thème de la communauté en portant un regard critique sur ce terme. Elle se demande pourquoi on n’appelle pas cela simplement « amitié » ou « amis », et se questionne sur les intentions que peuvent avoir des groupes de personnes et sur l’affection qu’elles ont les unes pour les autres. C’est une énergie et une source de pouvoir qui sont fondamentales dans les cercles artistiques. Mais on utilise souvent le terme communauté pour dire de façon trompeuse que son groupe d’amis est ouvert à tous alors que, généralement, il ne l’est pas.
Oui, le terme communauté est souvent un masque que l’on utilise pour dire « ceux que l’on aime ». Tu peux vivre à côté de ceux que j’aime ou avoir des intérêts en commun avec nous, mais si je ne t’aime pas, tu ne feras pas partie de cette communauté. C’est une zone d’ombre qui permet de donner une fausse impression d’ouverture d’esprit. Je préfère le terme public parce c’est littéralement un espace ouvert et il ne présuppose pas l’existence d’une harmonie. Cet espace est ouvert parce qu’il inclut une part de conflit. Je n’ai pas besoin d’aimer les éléments d’un public pour en faire partie, j’ai besoin de les respecter comme je respecte ceux qui me sont égaux. Le terme communauté est très populaire actuellement, mais je pense que c’est surtout à cause de nos besoins politiques qui nous poussent à avoir peur de l’autre tout en voulant donner l’impression qu’on leur est ouvert.
Nous nous trouvons ici chez moi, à Portland. Ma famille vit ici et récemment, nous avons fait don d’une partie de notre propriété privée. Nous l’avons ouverte pour que tout le monde puisse en profiter, nous y avons accroché une pancarte et mis une table à disposition. Nous avons été très attentifs aux mots que nous avons écrits sur la pancarte et il n’y est jamais fait mention du mot communauté. On peut y lire : « Nous invitons nos voisins à utiliser cette table. Veuillez la partager avec les autres et en prendre soin. » J’ai eu une longue discussion avec mon fils qui a douze ans et mon ami Denis qui en a trente, pendant laquelle nous nous sommes demandés à qui s’adressait notre invitation. Nous sommes finalement tombés d’accord sur le terme « voisins », parce que nous ne voulions pas que l’on pense que cette table était là pour tout le monde. Nous ne savons pas ce qu’une communauté aurait pu être. En utilisant « voisins », nous nous adressons à ceux qui nous entourent et il se trouve qu’une partie de ces personnes est sans-abri. Certains d’entre eux vivent dans le parc d’en face, depuis aussi longtemps que certains de mes voisins qui vivent dans des maisons. Le mot « voisins » est devenu une façon sympathique de dire : « Vous êtes tous les bienvenus, que vous soyez à la rue et fauché, ou que vous viviez dans une maison, que vous soyez jeune ou vieux ». Il nous a aussi permis de définir cette proximité. Je suis désolé, je m’écarte du sujet.
Oui, mais c’est un business. C’est les deux à la fois, en fait.
Oui, c’est vrai, mais ce projet correspond très exactement à l’expression de ma sensibilité. Aujourd’hui, après avoir connu diverses évolutions, chaque studio a développé des pratiques qui sont l’expression de la sensibilité propre d’une ou deux personnes. Et ils n’ont pas d’autres impératifs que ceux-là. Vu la façon dont nous les faisons vivre, soit ils font faillite, soit ils arrivent à trouver de l’argent ailleurs, mais nous avons été très clairs sur le fait que notre seule source de financement serait la vente de livres. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que notre activité se base partiellement sur l’idée suivante : « Voici quelque chose que vous pouvez faire si vous aimez un livre », et peu importe si vous n’aimez pas le même livre que moi.
Oui, il y en a. À Portland, Oregon, le studio est la propriété de Patricia No qui le dirige. Elle a une employée qui s’appelle Antonia Pinter. C’est leur affaire et elles la gèrent toutes les deux. À Toronto, dans l’Ontario, je crois que Michael Miranda, qui y travaille beaucoup, se fait payer, mais vu qu’il est Canadien, il a obtenu des subventions et d’autres sources de financement que la vente de livres. À Portland, dans le Maine, l’atelier fait partie de l’Institute of Contemporary Art [ICA] et je pense que la gestion de l’atelier fait partie des missions de Daniel Fuller en tant qu’employé de l’ICA. Les Publication Studio peuvent donc avoir des employés de différentes façons.
Chaque studio est autonome, et ils travaillent sur tout ce qu’il leur semble en valoir la peine. Le seul accord existant entre tous les studios porte sur le partage de certaines choses. Nous avons toujours été d’accord sur le fait que si nous produisons un livre, nous mettons à disposition des autres son fichier pour qu’ils puissent éventuellement l’imprimer et le vendre. Nous nous sommes entendus sur le partage des recettes : quand un livre est vendu, la moitié des revenus générés par cette vente va à l’auteur, l’autre à l’atelier qui l’a vendu. Nous sommes aussi d’accord pour partager une identité commune, avec des outils qui lui sont propres. Par exemple, nous sommes tous d’accord pour lister tous les livres sur un même site Internet.
Non, je n’utilise pas ce terme, mais c’est probablement très similaire à ce que l’on appelle une stratégie de marque. Nous avons quelques habitudes qui s’en approchent, nous nous sommes mis d’accord pour tamponner et gaufrer la quatrième de couverture de nos livres. Et chaque atelier a son propre tampon, ce qui nous permet de savoir qui a produit le livre. Nous avons un document très court et très simple qui s’appelle « Qu’est-ce qu’un Publication Studio ? » qui mentionne ce que nous avons convenu de partager. Il constitue aussi notre déclaration d’autonomie.
Ce que les gens ont du mal à comprendre, c’est cette relation horizontale qui existe entre nous et par laquelle nous essayons de créer un organisme harmonieux à partir de nos différences et d’une complète autonomie. Mais la pierre angulaire de cette harmonie, ce sont nos différences, pas nos similarités.
Oui, tout à fait. D’abord, j’ai pensé et mis en place les fondations de cette organisation. Je m’occupe donc de la coordination entre les studios, et de l’appréciation de leurs travaux respectifs. Je suis également le porte-parole de ce projet.
Je pense que colle n’est pas le terme exact, mais je suis plutôt une sorte de tissu interstitiel. Je vois l’évolution de mon rôle au sein de l’organisation comme celle d’un échafaudage. Je suis un élément essentiel de la structure pendant cette phase de construction, car j’aide à la mise en place de toutes les relations. Et puis on avance, et dans un an peut-être, toutes ces relations seront enfin claires et autonomes. On pourra alors se passer de l’échafaudage et on le démontera. Comme je l’ai dit au début, je suis écrivain et c’est l’écriture qui m’intéresse avant tout. À terme, je voudrais que mon rôle au sein du studio se limite à celui d’écrivain qu’il publie. Le plus tôt sera le mieux. Je me demande actuellement comment arriver à concilier parfaitement le fonctionnement d’une entreprise avec une pratique artistique. Jusqu’ici, nous nous sommes simplement contentés d’ignorer les méthodes de gestion professionnelle. C’est plutôt facile à faire. Nous ne savons pas vraiment comment se débrouiller pour générer plus de revenus, mais nous gagnons suffisamment d’argent pour en vivre. Patricia et Antonia peuvent travailler à plein temps et, quant aux studios restants, certains travaillent plus et d’autres moins. Nous naviguons à vue, le seul point de repère que nous ayons est notre passion pour la littérature et les artistes.
Cela s’est fait simplement. Quand j’ai trouvé la thermorelieuse, j’étais surtout excité par le fait que ce soit une machine très accessible. Nous avons aussi essayé de trouver une méthode de travail aussi facile et économique que possible. Lorsque quelqu’un nous dit : « Ouah, c’est super ! », nous répondons : « Tu pourrais aussi le faire. Il n’y a rien ici que tu ne possèdes pas déjà » Très rapidement, Colter Jacobsen, un artiste de San Francisco, est venu nous rendre visite pour faire quelques livres avec nous. Et juste après, parce que c’est un très bon artiste, il a gagné un prix qu’il a décidé de dépenser en achetant les machines. C’est de cette façon qu’il a créé Publication Studio Berkeley. Mais dans ce cas-là, tout repose sur ses épaules. C’est lui, assis dans une salle, qui à la fin de la journée imprime un livre avec quelqu’un, juste parce qu’il aime faire les choses comme cela. À peu près à la même période, Derek McCormack, un écrivain de Toronto dont j’admire le travail, est venu faire une lecture. Il a vu les machines, et il a passé une année à rassembler les fonds nécessaires à l’ouverture de ce qu’ils appellent une boulangerie littéraire [a book bakery], Publication Studio Toronto. Patricia et moi avons ensuite été invitées à parler de notre activité à une conférence qui se tenait à Vancouver, en Colombie-Britannique. Nous pensions que ce serait ridicule de se contenter d’en parler. De quoi aurait-on parlé ? Il nous a semblé plus logique d’y fabriquer des livres. Nous avons essayé de voir combien cela coûterait de faire envoyer les machines à Vancouver. Et il s’est avéré que le coût du transport était, à peu de chose près, équivalent au coût d’achat de nouvelles machines. Keith Higgins, qui dirige la Pitt Gallery à Vancouver, a alors décidé d’acheter ces machines. Nous y sommes restés une semaine, pendant laquelle nous avions fait la vitrine d’une librairie. Avant de partir, nous avons formé Keith pour qu’il puisse continuer le travail, et c’est de cette façon qu’est né Publication Studio Vancouver.
Ce processus s’est répété pour la plupart des Publication Studio suivants. Il s’agit toujours de quelqu’un qui s’intéresse à notre travail et à qui nous montrons à quel point il est simple de se procurer les machines. Il nous invite en résidence et nous travaillons avec lui le temps d’une semaine. Quand nous partons, il continue de faire fonctionner le studio.
Pour Bordeaux, les choses se sont passées un peu différemment. Comme à Toronto, il y avait beaucoup de paperasserie, de demandes de subvention et de bureaucratie. Heureusement, le projet était porté par Thomas Boutoux, qui est aussi éditeur à Paraguay Press, et Benjamin Thorel, qui enseignent tous les deux à l’École des Beaux-Arts de Bordeaux. Ils se sont chargés, avec l’aide de Fabien Vallos, de toutes les démarches compliquées, mais ils n’ont trouvé que des machines locales qui étaient plutôt étranges. Ils ont intégré notre intervention au festival Evento de Bordeaux pour obtenir les financements et le présenter dans un contexte approprié. Le festival a rencontré un franc succès et c’est certainement le seul studio que j’ai vu qui a véritablement compris ce que signifie créer des publics. Il a d’ailleurs poussé le concept jusque dans ses retranchements, en particulier parce que Fabien est très doué avec la nourriture et qu’avec les autres, ils sont parvenus à intégrer parfaitement la nourriture au processus de publication. C’était très bien pensé, les échanges se concentraient autour de la nourriture qu’ils préparaient, tout comme les échanges se concentrent autour des livres que nous produisons. Leur cuisine était constituée, en tout et pour tout, d’un robinet d’eau froide et d’un petit four à griller. Tout le reste dépendait des produits du marché et du talent du cuisinier. Avec ces ressources minimales, ils arrivaient à préparer de la nourriture de très haute qualité qui devenait partie intégrante de la journée. Guadalupe Echevarria, la directrice de la publication de l’école, était là tous les jours et j’ai passé une semaine, en qualité d’auteur en résidence, à préparer un livre avec eux. Elle va faire en sorte que le projet devienne un élément permanent de l’École. Un de ses étudiants, celui qui dirigeait le projet en collaboration avec Thomas, sera mis à la tête de ce Publication Studio. Mais il ne verra pas le jour avant janvier 2013 parce qu’il reste encore des questions d’ordre bureaucratique à régler.
C’est tout à fait envisageable. À mon sens, pour que l’organisme soit sain, il faut que ses divers studios aient suffisamment de différences pour pouvoir s’enrichir mutuellement. Je pense que le nombre idéal d’ateliers se situe entre douze et quinze parce que ce nombre laisse aux personnes la possibilité de se rassembler autour d’une table. Je pense que la plus importante partie de l’année pour Publication Studio sera de nous rencontrer physiquement. Je vois tout le monde parce que je voyage, mais comme je l’ai dit précédemment, je souhaiterais à terme quitter la structure et faire en sorte qu’ils se rencontrent une fois par an. S’il devait y avoir douze à quinze ateliers, je pense que deux ou trois d’entre eux devraient suivre le chemin emprunté par Colter. Ce serait bien d’avoir de brillants artistes comme lui, pour qui la présence de ces machines, dans le contexte de leur atelier puisse enrichir leurs pratiques artistiques. L’autre avantage est que cela permettrait d’avoir un modèle économique bien plus agile et gracieux pour ces artistes. Ils éviteraient ainsi le modèle économique cataclysmique où tout repose sur une seule exposition, au cours de laquelle sont vendues des œuvres à des prix élevés, et après laquelle l’artiste devient soudainement soit très riche soit très pauvre. En dehors du Publication Studio je pense que ces machines peuvent être un bon investissement pour tous les artistes qui accordent une vraie importance aux livres. Un peu comme les photocopieuses dans les années 1980 et 1990. À cette époque, elles pouvaient parfaitement trouver leur place dans la pratique d’atelier d’un artiste. Il ne s’agit-là que de nouveautés technologiques, après tout.
Je pense qu’il devrait y avoir trois ou quatre ateliers intégrés à des institutions, comme le sera celui de Bordeaux, mais aucun d’entre eux ne devrait être une institution en soi. Je pense également qu’il devrait y en avoir trois ou quatre qui se concentrent essentiellement sur l’activisme politique. Nous avons là un outil qui répond de façon très pertinente aux besoins de groupes qui doivent faire face à l’urgence. Pour le moment, je dirais que nous avons un atelier, celui de Boston, qui est vraiment très impliqué dans l’activisme politique. Dans une certaine mesure, celui de Portland l’est aussi et il le restera tant que j’y serai éditeur.
Pour moi, la politique est une négociation de pouvoirs. C’est ce qui se passe pour la majorité des interactions entre humains et surtout pour les interactions sociales. La création de publics est en soi une déclaration sur les relations de pouvoir. Et de la façon dont je l’ai formulé, il s’agit de créer des espaces où l’on peut reconnaître ce que nous avons en commun en dépit de nos différences. De mon point de vue, reconnaître nos points communs revient à se considérer comme étant équivalent d’un point de vue politique. C’est de cette façon que l’on finit par former un espace où les pouvoirs sont nivelés. C’est ce que j’aime avec les livres, c’est qu’ils sont l’espace public par excellence. Je pense que tout auteur sain d’esprit éprouve un plaisir immense à voir ses lecteurs s’emparer de ses livres, les affronter, exiger d’eux et avoir une véritable emprise dessus. Cela fait partie du plaisir que l’on ressent lorsqu’on trouve un de ses livres rempli d’annotations dans les marges, de toutes ces idées folles auxquelles on n’aurait jamais pensé.
Alors qu’il s’agisse d’un livre ou de nos lieux de travail, nous mettons en place ces espaces pour permettre à ceux qui y travaillent d’avoir la même emprise sur ce qui est fait. Cela les encourage à voir ceux qui entrent dans ces espaces comme faisant partie d’un espace public.
Nous mettons en place le même type d’espace lorsque nous organisons des dîners. Ce que j’aime dans ces longues tables de banquet, c’est qu’on peut y trouver un espace littéralement commun au centre. Chacun des convives y occupe une place identique, et donc tout ce qui se trouve au milieu de la table n’appartient à personne. Ce sont juste des choses que l’on doit partager. Donc, quand je dis qu’il s’agit essentiellement d’un acte politique, c’est parce que je pense que ces espaces constituent une déclaration politique, en tant que système de pouvoir horizontal. C’est quelque chose que l’on trouve inscrit dans le code génétique de plusieurs mouvements politiques. On en retrouve l’harmonie dans le mouvement Occupy et dans leurs tentatives d’occupation des espaces publics. Cette occupation est une manière radicale de déclarer : « J’existe ici au même titre que toi, l’ivrogne sans-abri, selon les mêmes codes et les mêmes règles. » Il y aura toujours des espaces publics, mais la politique liée à ces espaces n’est pas exactement ce que j’appellerais publique. Dans le jardin d’en face, les sans-abris n’ont pas le droit de boire, alors que moi, je peux m’asseoir de mon côté de la rue et boire autant que je veux parce que je suis sur une propriété privée.
Ces questions sont politiques et je pense que chacun des camps a ses alliés spécifiques, en particulier par les temps qui courent. Je pense qu’il est important de critiquer le modèle économique de la production artistique actuelle, parce qu’il suit des logiques qui sont extraordinairement influencées par d’autres pouvoirs, comme l’argent ou le clientélisme.
À chaque fois que quelqu’un me dit vouloir monter un studio, je passe pas mal de temps à dénigrer les bourses et les subventions qu’il pourrait obtenir. Je le fais parce que j’aimerais que personne ne compte sur ce type de revenu. Je veux les forcer à vendre leurs livres à un prix qui leur permette de rémunérer leur travail. Dans le monde de l’art, les gens ont l’habitude de vendre des livres à dix ou quinze dollars, ce qui couvre uniquement le coût de la matière première. Ils pensent qu’ils n’ont pas besoin d’être payés pour leur travail. Mais je pense qu’il faut évaluer correctement la valeur de son travail en toute circonstance et demander à être payé en conséquence. Si nous ne le faisons pas, nous érigeons des barrières entre nous et ceux qui ne peuvent pas se permettre le luxe de faire don de leur travail. Il existe donc tout un éventail de pressions politiques inhérentes aux outils que nous avons mis en place. Car nous voulons que cet outil soit quelque chose auquel tout le monde puisse jeter un œil et se dire qu’il pourrait l’utiliser. Et si cela arrive, c’est signe qu’on est en train d’atteindre notre objectif, parce que cela démontrerait que ces pratiques qui sont profondément ancrées dans le local sont lisibles par tous.
Portland,
May 15th, 2012
I’m a writer; it continues to be all I do and all that matters to me. I want to write, and I’d like my writing to reach people who care to read it. I got involved in making tools for publications just because the writing that matters to me and that needs to be read in order for my work to make sense was not being published. There are certain writers who are in conversation with me, and whose work is an essential part of the world that gives my work meaning. It was very specifically to get the work I was reading privately, to have a public.
I began the studio with Patricia No, who is also a writer. We both had identical aims, which were that there was great writing we wanted to publish and circulate. But the first month that we started, I was asked by Mediamatic, an art institution in Amsterdam, to curate what they were calling a Portland Pavilion, for what they called the Amsterdam Biennale. Basically, it was a critique of Biennales. Instead of inviting countries or major cities, they invited second-tier cities from around the world: not Tokyo but Osaka, not Los Angeles but Portland. I think they had 40 or 50. But having just begun to make books with these machines, I proposed that we make 20 or so original books with artists we admire in Portland and that our pavilion would be bookshelves with these books, partly because I was excited about machines. So one thing that happened immediately that changed our project was that we worked with 20 different artists and people who had careers or were showing in different countries: Jessica Jackson Hutchins, Chris Johansson, Johanna Jackson, M Blash… our favourite Portland artists. And having made those books, the Whitney Bookstore asked that we give them Jessica Jackson Huygens’s book. Each of them had been made as unique objects, but we were not mass, but a multiple producing regular publisher, so we were happy to, and by accident, we became more visible in the art book world than in literature right away.
The second factor is less an accident and more organic; when you ask a writer to come work with you and say, “We will make one book, and if we sell that book, we’ll make a second book,” the writer cries and runs away because they’re so unhappy. And there was this enormous culture change that we had helped writers through, for them to understand that you can reach all your readers even if you do it one at a time. The number of books that are printed is not a marker of their importance. By contrast, anytime an artist would walk into our storefront and look at the machines, they would look very excited, and they’d say, “I can make a book?” We would say, “Yeah,” and then they’d say, “I can make two books?”
And so, because of studio practice, the nature of art, and your object production, artists were immediately equipped to take advantage of what we did. They knew how to work the machines; they knew the value of making an object well. Whereas writers were culturally “crippled,” they believed that the value of what they did was less if there was only one of them. We did not want to get into art book production. We aren’t making art objects. We are making books, and we recognise that they function in different ways in an art economy. The easiest one for us has been to make catalogues or books about artists that sell through bookstores and galleries and that can be sold quite comfortably, as other books are.
Right. They are books that have to do with art and are often made by artists. Given the way we work, however, when we do that, the artist’s hand is often deeply present. A good example is Victoria Haven, a Seattle artist whose book Hit the North is typical of what has happened to us. We’ll work with her, and because she has the special Japanese rice paper, she has the last remaining stocks of the stuff that has gone out of circulation. Each of the books we make has a page that she has done by hand that we just glue in. This decision and the set of design decisions are all part of mixed ideas about the book. Another of our artists makes covers that are unique to each book by hand. The question of what an artist book is versus a book about an artist has become blurred.
Well, it’s adapted to common misunderstandings about art and literature in the way that our work corrects the misunderstandings. On the one hand, the artists, once they’ve seen that their hand can be in the book with ease, immediately think of the higher price of the unique work, numbered editions, signed. And we constantly ask, “Can we make sure that we keep things cheap?” Even if your hand is in it, we could just call it a plain edition. And if you would like it to be a unique or limited thing, we’ll do that, but let’s also have what we’ll call a plain edition that we can produce as many times as we want and you don’t need to be involved in.
Because, as you might know from our structure, when that artist Victoria comes from Seattle to Portland to work with us, well, in Publication Studio Toronto, they can make her book because they have the files. But if it’s an art book and Victoria has to touch it, will she fly to Toronto? Will they ship it to her? That is not the relationship we want. On that side, we try to get the artists to feel comfortable about sometimes being present and sometimes not, and on the other side, we’ve made very good strikes at getting writers to be comfortable with the idea that if books are made one at a time, they can make a real economy around literature. So, we haven’t been interested in playing to that strength of being able to make unique books and therefore drive an economy of unique art production. That’s not the way we want to live.
With the way that we work, I see them deeply interacting—very literally, in that many of our projects are by both involved writers and artists, and that rather than working separately, they’re often working deeply together. The best example is Jessica Jackson Hutchins, a sculptor whose book we did. She and a poet named Tom Fischer have for many years been friends and read books together. While reading the books, they talk about Jessica’s work, and Jessica’s thought process is moved forward by Tom’s conversation. The book we produced is really just the residue of that friendship. It’s blocks of texts from the books they’re reading opposite pictures of Jessica’s work that came out of conversations, and it’s them saying, “This is what we do.” But then again, in every project that we work on one at a time, the unusual complexity that might be hard for a traditional publisher is very easy for us.
All of our books—I mean, the ones the writers let us put up because not all of them like this idea. We put the whole book on a website where you can read it, comment on things, highlight text, and annotate on the side. Others who come to read it can see your annotations, reply to you, and comment on other things too. We initiated that feature immediately; it was part of what we did from the beginning of the Publication Studio because we understood that our work was to create publics. The work was not specifically to make books, e-books, or a certain business structure. The work was very simple. How do you get strangers from many different places to recognise in common the value of the text they share? And they thereby become a public when strangers recognise each other in common and come across their differences. And it seemed quite obvious that this was an elegant digital tool for having strangers recognise each other in common, quite literally. And profoundly more than the book itself, because it is a space that people from anywhere, with access to Internet, can reach.
It is hard to say. Each book has its own pattern. There is a book called Special Effects: Advances in Neurology by Neil Marcus, a man who lived in a wheel chair for most of his life. He started a fanzine in the eighties called Special Effects about the lives of the physically disabled and the culture and politics around that. We published a book with him that is present in so many areas and often taught in classes, so that the commons on his book is suddenly full of a group of twenty people from Michigan, or a month later, ten people from Berkeley.
And that public is the same that has seen the book because it turns out they got it for their class, and with their class, they decided to use that tool to have digital conversations. In other cases, people would just be online readers who do not ever buy the book. It is possible, and we may start to do it. To actually try to track these things, people would sign in by putting an email address. We have been very passive with the commons; we never go in and ask people to do it. But now we are starting to ask, well, where could we push it? With the book Revolution: a Reader, we have had a much more elaborate structure of efforts to make different kinds of publics around the book.
That’s a very important word to notice, and it is a word that I use but would like to use less. Community is often used to suggest a gathering of strangers who have a certain harmony and affection for one another. I prefer using the word public because it does not imply agreement; it doesn’t imply harmony. The public can be made up of very conflicting parts. Lisa Robertson, a Canadian poet, whose work I admire very much and who co-annotated Revolution: a Reader with me, has written very good essays about community and has cast a critical eye on that word. She wonders why you don’t just call it friendship and friends—that there are these intents, groups of people who have affection for one another; it is an energy and source of power that is crucial in artistic circles. But it gets called community often in this duplicitous way, lying way of saying my group of friends is actually open to everybody, but usually it is not.
Yes, I do. “Community” is often a mask for saying “the people I like.” But you may live right next door to the people I like, or you may share our interests, but if I do not like you, you are not part of that community. It is a grey area that allows a false implication of openness. I prefer the word “public” because it is literally an open space, and it does not imply harmony. The space is open partly because it includes conflict. So I don’t need to like people to be in that “public.” I need to respect them as equals. Community is a huge word right now, but I think it is larger because of our political need to still be fearful of others and yet imply that we are open to them.
We are meeting at my house in Portland; my family lives here, and we recently gave part of what is our private property; we opened it up so everybody can use it and put a sign up and a table. The sign is very carefully worded, and it never says community; it says, “Neighbours are invited to use the table; please share with others and take care.” It was a long discussion with my son, who is twelve years old, and my friend Denis, who is thirty, about who we were inviting. We settled on the word “neighbours” because we were not interested in making a resource that people would think was for everybody. We don’t know what a community would be. Neighbour means these people who are around quite a bit, and it happens to include the people who are homeless. Some homeless people have been living in the park in front of my house for as long as some of my neighbours have homes. So neighbours became this nice way of indicating “you are all welcome, whether you are homeless and broke, or you live in a house, old or young,” and to identify this nearness. Sorry for this tangent.
Yes, but it is a business. It is both of those things.
Yes, but it is very thoroughly a direct expression of my sensibility, and now, as it evolves, each studio, which has its own practice, is the expression of one or two people’s sensibility. They answer nothing else. Given how we live, they either go broke or maybe they have other money, but we have been very deliberate about only generating money by selling books. I don’t know why; it is because some of the proposition was “here is something you could do if you care about a book,” and it doesn’t matter if you don’t care about the same book I do, you can do it.
Yes, in Portland, Oregon, Patricia No owns the studio and runs it, and she has one employee, Antonia Pinter. It is their business, and they run it. In Toronto, Ontario, I think Michael Miranda, who does a lot of the work there, gets paid, but being Canadian, the studio actually has grant funding and things coming out other than selling books. In Portland, Maine, the studio is part of an art institute called the Institute of Contemporary Art, and I believe that Daniel Fuller runs the studio as part of his employment at the ICA. So there are different ways in which they have employees.
Every studio is autonomous; they work on whatever they think is great. The only agreement among the studios is to share certain things. We always agreed that if we made a book, we would share the file, and other studios could sell it. When they do, they agree that half of the profit will go to the author. And we agree to share an identity that has very specific tools. We agree that these books will be listed on a website together.
No, I don’t use that word, but it is probably similar to what people call “branding.” It does include a few material habits; we all agree to stamp and emboss on the back of our books. And each studio has its own dry stamp so that you can tell who made it. We have a very short, simple document that is called “What is a publication studio?” It says exactly what we agree to share, and it makes our statement of autonomy.
What has been hard for people to understand is this horizontal relationship in which we try to enable the complete autonomy and difference of the studios as a way of making a harmonious organism. But that harmony is based on our differences, not on our sameness.
I do; my special position is that I thought of all this and initiated it, so I become the person who both helps the different studios coordinate with one another and appreciates each other’s different works. And I am also the person who speaks on behalf of the project.
Glue might be the wrong word, but it is definitely some kind of interstitial tissue. The evolution of what I am in the organisation as one is that I am the scaffolding, because I am essential to this building stage of getting everything in its relationship. We are becoming quite close, maybe a year away, from the relationship being clear and self-sustaining; the scaffolding is then not needed, and you take it down. As I said in the beginning, I write; I am interested in writing books, and that’s it. The faster the Studio evolves to the point where I am simply one of the authors that they publish, the happier I will be. One of the puzzles that I am working on right now, and that relates to this, is the question of how do you conduct the work of a business entirely within artistic practice? And the reality for us is that we simply remain ignorant about professional business methods. It is fairly easy to do, but we are not quite aware of the few ways that we could make more money. We make enough money to live off of it. That is, Patricia and Antonia can do their work full-time; in the other studios, some of them are working more than others. But within that, there is no beacon, no compass, except your sense of passion about literature and the artists.
It was very simple. When I found the equipment, part of my excitement was that it was readily available. We tried to set up the way we work as simple and cheap as possible. So that anybody who says to us, “Wow, that looks exciting,” we answer, “You could do it; there is nothing that we possess that you don’t possess.” So soon enough, Colter Jacobsen, an artist based in San Francisco, came to visit, and we made some books with him. He actually went on to win a prize; he is a very good artist, and he spent it on the machines and opened this one in Berkeley. But in his case, it is totally him; it is him sitting in a room and, at the end of the day, making a book with somebody because he loves to make things one at a time. Just about the same time that he showed up, Derek McCormack, a writer I admire from Toronto, came through to do a reading and saw the machines, then spent the next year or so raising money to open what they call a book bakery, Publication Studio Toronto. Then Patricia and I were invited to come give a talk in Vancouver, British Columbia, about what we are doing, and we thought that it was a ridiculous thing to talk about. What is there to talk about? We thought it would be better to make books. So we tried to figure out the shipping costs to bring the machines to Vancouver, and it was so close to what the machines actually cost, so Keith Higgins, who runs the Pitt Gallery in Vancouver, bought machinery. And so we spent a week there doing a storefront in someone’s bookstore, and when we left, we trained Keith so he could continue on himself, and that’s Publication Studio Vancouver.
Almost all the other ones were made like that one. It is always a situation in which somebody gets interested, we explain to them how simple it is to get the machines, they invite us for a residency, we work with them for a week, and when we leave, they keep running it.
Well, Bordeaux is a little bit different; like Toronto, it involved a great deal of lit up and grant writing and bureaucracy. Luckily, Thomas Boutoux, who is an editor of Paraguay Press, and Benjamin Thorel teach at the École des Beaux-Arts in Bordeaux. They, together with Fabien Vallos, made all of the complexity work, but the machinery they found there was local to Bordeaux and quite strange. And in order to fund it and give it the right context, they made it part of Bordeaux’s Evento art festival. That was very successful; in many ways, it is the only studio that I have seen that took the implication of what it means to make public, as far as it could go, especially because Fabien is so intelligent about food. The way that they integrated food into the life of publication was brilliant. It was very thoughtful; they prepared food and made the exchanges around food, much like we prepared books and made the exchanges around books. The kitchen had a cold-water tap and maybe one small toaster oven. That was it. It was a matter of shopping well in the morning, being a good cook, and using these minimum means to make exceptionally high-quality food. The food became an integral part of the whole day. Guadalupe Echevarria, who is the head of publication at the school, was there every day, and I spent a week as an author in residency preparing a book with them. She is going to make the project permanent within the school, and one of the students who was running the project with Thomas will be the head of this Publication Studio. But it will not start before January because, again, there is some bureaucracy involved.
It certainly can do that. My sense of a healthy organism where the different studios enrich each other is that they should actually be quite different from one another. So I would like to think that twelve to fifteen studios is a good number to have because these people could gather and sit around a big table together. I think that it is going to become a very big part of the year for Publication Studios that we actually physically see each other. I see everybody because I travel, but as I mentioned, I want to get out of there, and all of them should meet once a year. If there are twelve to fifteen, I think that maybe two or three ought to be people like Colter, who are brilliant artists for whom the presence of the machinery in their studio context expands the way they work and also makes it a much more nimble and graceful economy than the cataclysmic economy of one show a year, in which you sell things for high prices and either suddenly you are rich or you are poor. I think it is a good model for that, and I think outside of Publication Studio, any number of artists for whom books and the presence of books have been relevant will probably see this as good equipment to have. In the same way that in the eighties and nineties, the presence of a Xerox copy machine could be relevant to an artistic studio practice. It is just new machinery.
In our context, it really just should be two or three; there should also be three or four that are in institutions, the way that Bordeaux is going to be. But by no means should one be an institution. There should also be three or four that are deeply connected to political activism. This is a tool that makes sense, and the group using it feels urgency. For the moment, I would say that one, Boston, is deeply connected to political activism. And, to some degree, Portland, as long as I remain an editor there.
I understand politics as the negotiation of power. And that’s just the reality of almost every human interaction, certainly all of our socialised ones. To create a public is to make a formal declaration about power relationships. And as I have formulated it, it is specifically to create a space in which people recognise each other in common across differences. And when I understand people to recognise each other in common, it is to grant a political equivalence, to make a levelled field of power. This is part of what I love about books. I consider books to be a good example of a public space. I think you find in almost every healthy author a great pleasure in seeing others as readers take their book over. And take it on, make claims about it, and have agency in the book. That’s part of the delight in seeing your book with marginal notes and all this crazy stuff that you did not ever think of.
Or you set it up around a dinner table. What I love about long, narrow tables is that there is this literal common space, and each of you is seated in an identical position. Everything in the middle is not yours or theirs; it is stuff you have to share. So when I say it is an essentially political act, I mean that to declare such a space is a political declaration, a horizontal arrangement of power. It is native to many political movements; it is very harmonious in the Occupy movement, and the attempt to occupy public spaces and radically occupy them was exactly this declaration, “You homeless drunk, you are here on the same terms that I am here.” We will always have public space, but the politics of it are not what I would call public. In the park across the street, the guy who is homeless cannot drink. I can sit here on my side of the street and drink because I own the property.
Each time we get new people interested in having a studio, I spend quite a little bit of time belittling their grants and their subsidies, trying to get everybody to not have subsidies. Forcing them to price the book so it pays for their labor. A common habit in the art world is to sell books for ten or fifteen dollars because that is what they cost materially and say, “I don’t need to be paid for my labor.” It is a great service to assert the value of your labour all the time and to ask to be paid for it. If you don’t do that, you present quite a barrier for those who can’t afford the luxury of giving away their labor. So there is a whole range of political pressures that lie behind the tool, and most of them drive right back down to the fact that it is a tool everybody should look at and say, “I could use that.” And if that happens, then it is succeeding because it shows that these intensely local things are legible.