New York,
le 14 octobre 2022
A : Avant ce projet, [il se tourne vers MP5] corrige-moi si je me trompe, ton visage et ton genre étaient inconnus. [Elle acquiesce]
A : …ou de quoi que ce soit d’autre. Mais après ce projet, elle est devenue très connue et elle a également une très grande fanbase en Chine, ce qui a également changé les choses.
MP : Ok. Je suis MP. MP5 est mon nom d’artiste, mais tout le monde m’appelle MP. Je viens de Rome, mais j’ai vécu dans beaucoup de pays différents. J’ai commencé par des peintures murales. Aujourd’hui, on parle de street art, mais je suis trop vieille pour ça. J’ai commencé par les peintures murales et l’autoproduction. J’ai été impliquée dans le Crack Fest, le plus grand festival underground italien de fanzines et d’art imprimé. On a accueilli World War 3 et de nombreux fanzines du monde entier. J’ai fait partie de l’organisation pendant sept ans.
MP : Aussi, oui, mais plus maintenant. Aujourd’hui, je publie surtout des livres. Mais l’autoproduction est quelque chose qui est en moi. Pour moi, l’autoproduction, c’est « Je veux faire ça et je vais le faire moi-même ». Si j’ai un éditeur, je le fais, si je n’en ai pas, je le fais de la même manière. Pour moi, c’est comme ça, le Do It Yourself est un état d’esprit.
MP : Alessandro Michele [directeur artistique de Gucci entre 2015 et 2022] m’a demandé de redessiner toute la campagne CHIME FOR CHANGE, leur campagne globale pour l’égalité de genre, c’est-à-dire le logo et l’identité. Lorsqu’il m’a demandé ça, je n’avais jamais collaboré de ma vie avec une marque. Même si à l’époque, il y a dix ans, les gens me voyaient comme la seule fille qui fait des peintures murales, je ne me considère pas comme une fille pour autant. De nombreuses marques m’ont donc appelée pour collaborer, mais j’ai toujours refusé.
MP : Jamais. Enfin, pour quelqu’un d’autre, oui. Mais pour des magazines, pas pour des marques. Gucci a été la première que j’ai acceptée, car Alessandro Michele connaît vraiment bien mon travail. Tu vois ce que je veux dire. Pas parce que je suis une fille, une artiste non-binaire ou une street artiste, parce que je suis une artiste. Il m’a appelée parce qu’il aimait mon travail et j’ai accepté.
A : Bien sûr, je m’appelle Adam Eli, je suis un écrivain et community organizer basé à New York. Je suis l’éditeur du zine, je m’occupe de tout ce qui touche au contenu. Mais c’est MP qui le fabrique, elle se charge de tout ce qui a trait à l’art ou aux visuels, en particulier les couleurs flashy et la logistique de l’impression.
MP : Il m’a demandé de créer la nouvelle identité, le logo et la campagne. Mais ensuite, il a eu l’idée géniale de créer un zine. Il a demandé à Adam d’en être le rédacteur en chef et m’a demandé de travailler avec lui et d’en être la directrice artistique. On ne se connaissait pas du tout. On s’est rencontrés pour la première fois à Paris et lorsque je l’ai rencontré, j’ai tout de suite compris qu’on était sur la même longueur d’onde. On vient tous les deux de l’activisme. On se considère comme des personnes queer. Notre langage est le même, le langage graphique pour moi, et le langage des mots pour lui.
A : Ce que Gucci a su reconnaître, c’est que nous venons tous les deux d’espaces communautaires, que nous sommes tous les deux vraiment sur le terrain, c’est pour ça qu’ils nous ont matchés. Ça a été limpide et facile dès le début entre nous deux. On a publié sept numéros et des numéros en ligne.
MP : Pour moi, complètement. De manière libre, Adam décide des sujets ; parfois, on décide des sujets ensemble.
A : Je fais une très grande liste de contributeurs, écrivains, auteurs, activistes, mais aussi de contributions visuelles, photographes, dessinateurs de bandes dessinées, illustrateurs, et on parle de tout ça ensemble.
MP : Je m’occupe du graphisme et de la direction artistique à la fin, quand on a tout décidé. Adam écrit tout ce dont nous avons besoin pour publier. Je rassemble le tout en toute liberté, comme je le ferais toute seule. Je décide de tout le graphisme à la fin, pas avant.
A : Concrètement, ce que j’envoie à MP est un gros document PDF créé dans Google Docs. Il contient le nom des contributeurs, les textes et les images. Pour cette conversation avec Assa [Traore], j’ai envoyé le texte, j’avais fait l’interview avec Assa, je l’ai édité. Je lui ai envoyé le texte avec les photos, et MP l’a fait ressembler à ça.
MP : Je ne comprends pas vraiment la question, je suis désolée. Peut-être est-ce dû à mon anglais.
A : As-tu la liberté de créer les visuels ou est-ce qu’on te dit à quoi ça doit ressembler ?
MP : Non, personne ne me dit rien.
MP : Oui, normalement oui. C’est bizarre, mais je l’envoie et ils disent « Wow, c’est cool ». Normalement, c’est comme ça. On a aussi une collaboration, je veux dire que Gucci a une collaboration avec Sinéad Burke. Elle suggère parfois des changements mineurs pour l’accessibilité des personnes handicapées, par exemple la taille des polices, les couleurs.
A : On a une latitude surprenante en terme de contrôle créatif sur les visuels et les textes. La seule fois où MP a eu un retour sur le visuel, c’était pour s’assurer que le texte était bien accessible aux personnes souffrant de déficiences visuelles ou de handicaps. Bien entendu, on était très heureux de travailler sur ce point. Personne ne nous a dit : « Nous n’aimons pas cette couleur », « Ce n’est pas la marque » ou « C’est pas joli ». La seule chose, c’est que certaines couleurs superposées ne convenaient pas aux personnes souffrant de déficience visuelle. On a donc travaillé avec quelqu’un sur ça, mais pour le reste, on est libres.
A : Le thème du zine est le thème de la campagne, c’est-à-dire l’« égalité mondiale des sexes ». Tout dans le zine est donc lié au genre et à la lutte pour l’égalité des sexes, quelle qu’elle soit, en particulier dans le monde entier.
MP : Pas vraiment, j’ai travaillé avec des magazines et des journaux depuis l’âge de 20 ans. Il y a toujours un sponsor, sauf si tu fais de l’autoédition. Si tu t’autoédites, ça signifie que tu auras moins d’exemplaires et que tu ne pourras pas aller dans le monde entier, mais ce n’est pas grave. J’aime ça, mais j’aime aussi avoir la possibilité d’aller dans le monde entier, d’avoir plus d’exemplaires, de donner le zine gratuitement. Pour moi, c’est comme un sponsor qui nous permet de faire ce qu’on veut.
A : Je pense que c’est génial. Une des qualités de Gucci, c’est qu’il s’agit d’une multinationale qui possède de nombreuses ressources que nous n’avons pas. Son influence mondiale, son réseau de distribution et ses ressources sont énormes. Donc, si on peut prendre ces énormes ressources et cet argent, alors tout le monde dans le zine peut être payé. Il y a une rémunération forfaitaire que tout le monde reçoit, et c’est très généreux. Si nous pouvons utiliser ces ressources pour faire entendre ces voix, je pense que c’est formidable. Ce qui est surprenant, c’est qu’ils nous laissent faire !
MP : Parfois, nous aidons les contributeurs d’une autre manière, par exemple, Maryangel [Garcia Ramos] a fait la couverture de Vogue.
A : Il est arrivé qu’on trouve des contributeurs et que, parfois, ils intègrent le réseau Gucci au sens large. On a une contributrice qui figure dans le numéro 3, je crois [numéro 2 en fait], qui est une formidable militante féministe handicapée et qui a fini par faire la couverture du magazine ELLE au Mexique avec un groupe de femmes handicapées habillées en Gucci de la tête aux pieds. Cette relation a commencé parce qu’on l’avait invitée à parler d’activisme dans le zine. C’est arrivé plusieurs fois qu’on a réussisse à faire entrer des voix comme celle-là dans ce type d’espace.
MP : Grâce au zine, différents contributeurs ont eu la possibilité de devenir plus importants grâce à notre plateforme.
MP : Ça dépend toujours. C’est toujours différent. Pour le papier, c’est étrange en ce moment avec le développement durable. On propose aussi des fichiers en téléchargement numérique. On est en train de passer au numérique, de travailler avec des choses interactives et de l’animation. On essaie de prendre de l’ampleur sur le web, de faire un travail incroyable sur le numérique. Comme ça, on peut imprimer un peu moins d’exemplaires. Parfois, on en tire 20 000, parfois 10 000, ça dépend. C’est pour ça qu’on s’efforce de les distribuer aux bons endroits.
A : Une des choses incroyables avec Gucci, c’est qu’ils disposent d’un réseau de distribution mondial. Ils expédient des articles dans le monde entier en permanence depuis l’Italie, puisque tout est fabriqué en Italie ou ailleurs. Pendant le COVID, c’était vraiment difficile. C’était aussi difficile de faire entrer des produits au Brésil au début de l’ère Bolsonaro. Ça dépend de tous ces facteurs.
MP : Parfois, on réimprime des exemplaires. On voulait participer à une foire de livres d’art, Sprint à Milan. On a réimprimé beaucoup d’exemplaires pour les distribuer gratuitement à la foire et beaucoup de gens étaient très heureux. On a eu un public énorme. On organise également des événements, des conférences et des discussions. On a des possibilités pour organiser différentes choses autour des zines.
A : Ce qui me semble très important, c’est que le zine soit toujours gratuit et disponible en ligne avec le même contenu et dans une variété de traductions. On n’a jamais fait payer pour le zine et on ne le fera jamais.
A : Si tu t’intéresses aux artistes qui créent des zines, c’est vraiment le travail de MP. C’est elle l’artiste et moi l’éditeur, c’est entièrement sa vision et sa direction créative.
MP : Oui, je le considère comme l’un de mes projets artistiques. Totalement.
A : Merci beaucoup !
New York City,
October 14th, 2022
A: Before this project, [he turns to MP5.] correct me if I’m wrong; your face and gender were unknown. [She nods]
A: …or anything. But after this project, it became high-profile, and she also got a really big fanbase in China, and that also changed things.
MP: Ok. I am MP. MP5 is my artist name, but everybody calls me MP. I come from Roma, but I lived in a lot of different countries. I started with murals. Now they call it street art, but I am too old for that. I started with murals and self-production. I was involved in the Crack Fest, which is the biggest underground festival in Italy for fanzines and printed art. We hosted World War III and a lot of fanzines from all over the world. For seven years, I was part of the organisation.
MP: Also. Not any more. Now I am mostly publishing books. But self-production is something that is in me. For me, self-production is like, “I want to do that, and I am going to do it now.” If I have an editor, I do it, if I don’t have an editor, I do it the same. For me, it is like this: DIY is a state of mind.
MP: Well, Alessandro Michele [artistic director of Gucci between 2015 and 2022] called me to redraw all the campaign of CHIME for Change, their global campaign for gender equality, which means the logo and the identity. When he called for that, I had never collaborated in my life with a brand. Even if at that time, ten years ago, people would look at me like the only girl who makes murals, I am not considering myself a girl though. So a lot of brands called me to work together, but I always refused.
MP: Never. Well, someone else, yes. But for magazines, not brands. Gucci was the first one I accepted because Alessandro Michele really knows my work. You know what I mean. Not because I am a girl, a non-binary, or a street artist, but because I am an artist. So he called me because he liked my work, and I accepted.
A: Sure, my name is Adam Eli. I am a writer and community organiser based in New York City. I am the editor of the zine, and I deal with all things as they pertain to content. But MP is the one who makes it; anything that has to do with the art or the visuals, especially the bright colours and the printing, the logistics of the printing is all MP.
MP: He asked me to create the new identity, logo, and campaign. But after he had this great idea to make a zine, he called Adam, to be the editor of the zine and asked me to work with him and be the art director of the zine. We didn’t know each other at all. We had our first meeting in Paris, and when I first met him, I understood in the first moments that we were really on the same line. We come from activism. We consider ourselves as queer persons. Our language is the same: me as a graphic language and him as a word language.
A: What Gucci was able to recognise is that we both come from community spaces; we’re both really on the ground, and they match made us. It was very clear and easy from the beginning for the both of us. We published seven issues and digital issues.
MP: For me, totally. In a free way, Adam decides the topics; sometimes we decide the topics together.
A: I make a big big list of contributors; writers, authors, activists, also visual contributors, photographers, comic book artists, illustrators, and then we talk about all of it together.
MP: I do the graphics and art direction at the end, when we have decided everything. Adam writes everything we need to publish. I just take everything together in total freedom, as I would do it by myself. I decide all the graphics at the end, not before.
A: Basically, what I end up sending MP is a large document, like a PDF document made in my Google Docs. It says the name of the contributor, the text, and the images. For this conversation with Assa [Traore], I sent the text, I had the conversation with Assa, and I edited it. I sent her the text with the photos, and MP made it look like this.
MP: I don’t really understand the question. I am sorry. Maybe it is my English.
A: Do you have the freedom to do the visuals, or do people tell you what it should look like?
MP: No, nobody tells me anything.
MP: Yeah, normally, yes. It is strange, but I just send it, and they said, “Wow, this is cool.” Normally, it is like this: We also have a collaboration. I mean, Gucci has a collaboration with Sinéad Burke; she sometimes suggests minor changes in terms of accessibility for people with disabilities, for example, font sizes and colours.
A: We have a surprising amount of creative control as it pertains to the visuals and the texts. The only real time that MP has received feedback about the visual is this one time, which was about making sure that the text was very accessible for people with visual impairments or disabilities. Of course, this was something that we were very very glad to work on. No one said, “We don’t like this colour,” or “It’s not the brand,” or “It’s not pretty.” The only thing was that some colours on top of other colours didn’t work for people with visual pairments. So we worked with somebody on that; otherwise, we have freedom.
A: The theme of the zine is about the theme of the campaign, which is “Global Gender Equality,” so everything in the zine pertains to gender and the fight for gender equality, whatever that means, especially across the world.
MP: Not really; I used to work with magazines and newspapers since I was 20 years old. There is always a sponsor, unless you publish it yourself. If you self-publish, it means that you will have less copies and can’t go all over the world, but it’s ok. I love it, but I also love that we can have the possibility to go around the world, to have more copies, and to give it away for free. To me, it is like a sponsor that allows us to do what we want.
A: I think that it is great. One of the good things about Gucci is that it’s a global company and has so many assets that we don’t have. It has enormous global influence; it has enormous distribution; and it has enormous resources. So if we can take these enormous resources and money, everyone in the zine gets paid. There is a flat fee that everyone gets paid, and it is a very generous fee. If we can use those resources to uplift these voices, I think it’s great. The surprising thing is that they are letting us do it!
MP: Sometimes we help contributors in other ways; for example, Maryangel [Garcia Ramos] was on the cover of Vogue.
A: Something that has happened is that we find contributors and, sometimes, they become a part of the larger Gucci network. We have one contributor who is in issue #3, I think [#2 actually], who is this amazing disabled feminist activist, and she ended up on the cover of ELLE magazine in Mexico with a group of disabled women head to toe in Gucci. That relationship started because we had her in the zine talking about activism. This happened a few times when we managed to bring voices like this into this type of space.
A: Through the zine, different contributors have the possibility to become bigger because of our platform; to me, that’s amazing.
MP: It always depends. It is always different. For paper at the moment, it is strange, for sustainability. We also have digital downloads. We are going digital, working with interactive and animation stuff, trying to be bigger on the web, doing amazing work on the digital, and like this, we can print a little less copies. Sometimes we do 20.000, sometimes 10.000. So we work on this to distribute in the right places.
A: One of the amazing things about Gucci is that they have a global distribution network. They are shipping things all over the world all the time from Italy, as everything is made in Italy or whatever. During COVID, it was really hard. Also, it was hard to get things into Brazil during the early Bolsonaro days. It depends on all of these factors.
MP: Sometimes we reprint the copies. We wanted to attend an art book fair, Sprint in Milano. We reprinted a lot of copies to distribute them for free at the fair, and a lot of people were so happy. We had a huge crowd in there. We also organise events, talks, and discussions. We have possibilities to organise different things around the zines.
A: One of the things that I think is super important is that it is always free and available digitally on line with the same content and with a variety of translations. We’ve never charged for the zine, and we never will.
A: If you are interested in artists making zines, that is really MP’s focus. The whole thing is entirely her vision and creative direction, and she is the artist and I am the editor.
MP: Yes, I consider it one of my art projects. Totally.
A: Thank you so much!