Rotterdam,
le 16 juillet 2022
Pour ce qui est de gagner sa vie, car c’est évident qu’on ne gagne pas notre vie en organisant la foire.
Je travaille à l’université. Je suis enseignante chercheuse dans le département d’arts et de design d’une université très intéressante. Notre laboratoire d’impression se trouve juste à côté du laboratoire d’études sociales et, à l’autre étage, il y a un laboratoire qui étudie le climat de l’espace. Ça fait partie de l’UNAM, qui est l’université la plus importante du Mexique et qui commence à ouvrir des campus en dehors de Mexico. Celui-ci est l’un d’entre eux.
Oui, je pense qu’on n’avait pas vraiment d’idée au début. Après avoir vécu à Bruxelles, je venais de rentrer au Mexique. Quand je vivais à Bruxelles, je travaillais comme baby-sitter dans une famille qui avait deux enfants et j’aidais à la maison et au ménage. Frances Horn organisait une foire à Bruxelles appelée PA/PER View. Je travaillais chez elle avec les enfants et elle m’a demandé de l’aide pour faire des choses à la foire, comme rechercher des éditeurs ou ce genre de choses. Je l’ai donc aidée une année pour cette foire, mais pas vraiment avec les éditeurs, c’était plus un travail d’aide (care work), je dirais. Après ça, j’ai continué à travailler à la maison avec les enfants, et à cette époque, j’étudiais la reliure à Bruxelles à La Cambre. Puis je suis allée à Londres, parce que je devais faire mes stages, et j’ai rencontré Kit Hammonds, l’un des fondateurs de Publish and be Damned. J’ai vécu chez lui pendant que j’étais à Londres et il avait une autre approche des foires de livre.
Je ne dirais pas que c’était un autre point de vue, mais je pense qu’à l’époque, je n’avais pas vraiment de comparaison. Et je ne suis jamais allé à Publish and be Damned, mais en parlant avec Kit, j’ai compris ce qu’il essayait de faire à travers sa pratique. À Londres, je travaillais avec Åbäke, qui publie sous le nom de Dent-De-Leone. J’ai découvert ce monde d’une manière un peu étrange. Je ne le cherchais pas, mais je m’y trouvais de fait. Quand je suis retourné au Mexique, Kit voulait vraiment aller au Mexique, Frances vivait à Los Angeles et on a rapidement rencontré ces gars sympas qui ont une librairie appelée Casa Bosques à Mexico. Et on a décidé de créer une foire entre nous tous.
Il y avait déjà des foires, mais je n’avais jamais assisté à aucune d’entre elles parce que je ne vivais pas au Mexique. Je ne me souviens pas de leurs noms. Il y a encore des foires, mais aucune ne remonte à cette époque.
Nous avons un laboratoire d’édition, mais il est davantage destiné aux étudiants, il ne fait pas partie de mes recherches. Ma pratique se situe davantage à l’intersection des arts et des sciences, elle n’a rien à voir avec le monde de l’édition, c’est quelque chose de complètement différent. Je travaille beaucoup en collaboration et avec des scientifiques. Chaque année, je travaille sur plusieurs projets en même temps. Actuellement, je travaille sur un projet qui cherche à en savoir plus sur le sol et sur la manière dont l’écologie fonctionne d’une manière microscopique. Il y a donc quelqu’un qui étudie les bactéries, quelqu’un qui étudie les insectes microscopiques, quelqu’un qui étudie les arthropodes ou des graines très spécifiques, et il y a moi.
Oui, mais Index est une autre partie de mon travail.
Non, je ne suis pas éditrice.
Aujourd’hui, le noyau dur est composé de quatre personnes : Jorge de la Garza de Casa Bosques, Maxime Dossin de Belgique, Diego Avila et moi-même. Jorge s’occupe de la communication avec les institutions, je m’occupe de la programmation publique, Max de la conception graphique et Diego de la communication avec les éditeurs.
Il ne s’agit pas du noyau dur de la première année. Chaque année, l’équipe change, des personnes arrivent et partent.
Ça a commencé une année où l’un d’entre eux nous a dit : « Je ne peux pas payer, je n’ai pas les 90$ pour la table, est-ce qu’il y aurait un moyen de trouver un arrangement ? » On a répondu : « Oui, bien sûr ». Avant la foire, il y a toujours beaucoup à faire, récupérer les colis, construire les échafaudages, afficher le nom des éditeurs et nous faisons tout cela nous-mêmes. Ils viennent donc la veille de la foire et nous aident à faire tout ce que nous avons à faire.
C’est devenu un mode de fonctionnement et en même temps, quelqu’un a demandé hier : « Est-ce que c’est quelque chose de clair et d’annoncé publiquement ? » Ce n’est pas le cas et c’est une erreur. J’ai continué à y penser, et je me demande : « Comment est-ce que ça peut devenir quelque chose sur lequel on peut communiquer ? »
Oui, mais ça soulèverait aussi d’autres questions : « Comment sélectionnez-vous les personnes auxquelles on dit d’accord ? » Et je suis persuadée qu’il y aurait un très grand nombre de demandes à ce sujet.
Oui, toujours.
On essaie toujours d’avoir au moins 50 % d’éditeurs mexicains. Bien entendu, l’une des raisons pour lesquelles nous avons voulu créer ce salon, comme le disait hier Bia [Bittencourt], c’est que certains types de livres n’étaient pas vraiment accessibles. On voulait donc vraiment lire ces livres et les voir, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons lancé le salon.
Je ne sais pas si je le dirais comme ça. On ne se dit pas : « Voilà ce que les gens devraient lire ». Il s’agit plutôt de construire un discours, non seulement à travers le programme public, mais aussi à travers les éditeurs et ce dont ils parlent.
Le programme public est la partie de la foire qui est la plus en lien avec ma pratique, qui n’a rien à voir avec la publication. Il s’agit de penser et de déplacer les discours, car je trouvais que dans d’autres programmes publics, ça tournait en rond. Je voyais qu’il y avait tant d’éditeurs qui travaillaient sur tant de sujets passionnants, et qu’on parlait toujours de leur pratique éditoriale, alors qu’on pourrait traiter de questions plus larges sans oublier où nous sommes.
L’Amérique latine a toujours été la région que nous avons le plus de mal à faire venir, parce qu’elle est très vaste et que, d’une certaine manière, il est plus difficile d’arriver du Sud. C’est aussi la raison pour laquelle les modèles économiques sont si différents : Ici, en Europe, c’est facile de trouver des financements. Ce n’est peut-être pas si facile que ça, mais comparé au Mexique, c’est quand même plus facile. Au Mexique ou en Amérique latine, c’est beaucoup plus difficile, et beaucoup de ces projets éditoriaux n’obtiennent aucun financement. Il est donc très difficile pour eux d’investir dans ce type de foire.
Non, je n’ai jamais participé à des foires en Amérique latine, et je dois avouer que je n’ai pas participé à beaucoup de foires de livre. C’est comme si je faisais partie de ce monde, mais que je n’en faisais pas partie du tout.
Exactement
J’en ai discuté hier avec Sergej [Vutuc] et je pense que si je devais nommer une foire du livre, ce serait celle que mes étudiants ont créée et qui s’appelle Print’n’Trip. Elle se tient à Morelia, où j’enseigne. C’est vraiment bien, parce que je me rends compte que je peux utiliser les foires et le programme public non seulement pour me connecter à mon monde universitaire, mais aussi pour connecter mes étudiants de ce monde au monde de l’art. J’aime beaucoup l’idée que « les livres sont des ponts » [books are bridges], parce que dans ce cas, ça fonctionne très bien. Mes étudiants sont en mesure d’entrer en contact non seulement avec des éditeurs, mais aussi avec des institutions ; certains d’entre eux travaillent déjà avec des musées. Pour moi, c’est une façon de leur permettre de rencontrer d’autres réalités. Ils ne viennent pas de Mexico et beaucoup d’entre eux auraient des difficultés à montrer leur travail dans ce genre d’endroit. À l’université, nous avons donc une Riso, du papier, tout ce qu’ils peuvent utiliser et nous pouvons ainsi entrer dans cet autre monde. C’est très bénéfique pour eux.
Oui, il y a eu le flop avec Corona, ils nous ont sponsorisés et nous ont donné beaucoup trop de bières, un camion entier de bières Corona, et il nous a fallu des années pour nous en débarrasser.
Je dirais que pour moi, le kit de survie, c’est de l’espace pour les connexions. Notre kit de survie, c’est un canapé, des aires de repos où l’on peut trouver de la bonne nourriture, de l’eau. Il ne s’agit pas d’une simple chaise, mais de quelque chose de confortable où l’on peut se détendre. C’est ce que j’aime le plus dans la galerie avec laquelle nous travaillons. L’espace est divisé, le premier espace est celui où se déroule le programme public, l’autre est celui où se déroule la foire et il y a un espace intermédiaire qui est rempli de canapés, puis il y a l’espace cuisine. C’est là que j’ai rencontré Eric, parce qu’il était dans un collectif qui cuisinait pour la foire avec Kit de Publish and be Damned. C’était leur façon d’aborder l’édition par le biais de la nourriture. C’était très sympa, avec l’espace de repos, la nourriture, c’est de l’attention particulière [care].
C’est un mélange. Beaucoup de leurs artistes produisent des publications, donc ce n’est pas complètement séparé. En même temps, ils sont très différents de beaucoup d’organisations avec lesquelles nous avons travaillé. Même si la plupart de leurs artistes produisent différents types de publications, parfois très ludiques, ils n’ont jamais insisté pour que l’un de leurs artistes figure dans le programme public. D’autre part, le fait qu’ils nous fassent confiance pour l’espace a été la meilleure expérience que nous ayons eue dans tous les endroits où nous avons travaillé auparavant. Même s’ils ont leur propre public et leurs propres artistes, ils ont un lien avec la foire, mais ils ne se sont jamais imposés, alors que ça aurait été facile.
Non.
Bien sûr. Les musées avaient une stratégie très claire : nous vous donnons ceci, vous devez donc faire telle et telle discussion. Ici, nous avons carte blanche. C’est très agréable d’avoir confiance et de ne pas être considéré comme une menace, comme dans le musée où l’on pensait que nous allions tout détruire, que notre public n’était pas responsable. Ici, c’est complètement différent.
Rotterdam,
July 16th, 2022
As for living, because it is obvious we don’t make a living out of organising the fair.
I work at the university. I teach and research in the Arts and Design department at this very interesting university. Our printing laboratory is just next door to our social studies laboratory, and on the other floor is a laboratory that studies the climate of the space. It is part of the UNAM, which is the most important university in Mexico, but they are starting to open campuses outside of Mexico City, and this is one of them.
Yes, I think we didn’t have much idea in the beginning. I was living in Brussels and had just gone back to Mexico. While living in Brussels, I worked as a babysitter for a family that had two kids, helping with the house and the cleaning. Frances Horn used to have this fair in Brussels called PA/PER View, I was working at her house with the children, and she asked me for help doing things at the fair, like looking for publishers or that kind of stuff. So I helped her one year with this fair, but not really with the publishers; it was more care work, I would say. After that, I kept on working at the house with the kids, and at that time, I was studying bookbinding in Brussels at La Cambre. Then I went to London because I had to do my practices, and I met Kit Hammonds, who is one of the founders of Publish and Be Damned. I lived in his place during the time I was in London, and he had another approach to book fairs.
I wouldn’t say it was another view, but I think that at the time I didn’t have much idea. And I never went to Publish and Be Damned, but only talking to Kit, I was getting to know what he was trying to do with his practice. While in London, I was working with Åbäke, which publishes under the name Dent-De-Leone. So I got around it in this world in a strange way—not really as I was looking for it, but as I found myself there. When I went back to Mexico, Kit really wanted to go to Mexico. Frances was living in Los Angeles and we quickly met these nice guys who own a bookshop called Casa Bosques in Mexico. And we decided to make a fair between us all.
There were fairs already going on, but I had never been to any of them because I wasn’t living in Mexico. I don’t remember their names. There are still some fairs going on, but none of them go back to that time.
We have a publishing laboratory, but it is more for the students; it is not part of my research. My practice is more of an intersection between the arts and sciences; it has nothing to do with the publishing world; it is something completely different. I work a lot with scientists, and I work a lot in collaboration. Each year, I work on several projects at the same time. Currently, I am working on a project that seeks to know more about the soil and how the ecology works in a microscopical way. So there is someone that studies bacteria, someone that studies microscopic insects, someone that studies arthropods or very specific seeds, and there is me.
Yes, but Index is another part of what I do.
No, I am not a publisher.
Now, the core group is four of us: Jorge de la Garza from Casa Bosques, Maxime Dossin from Belgium, Diego Avila, and me. Jorge takes care of the communication with the institutions; I do the public programme; Max does the graphic design; and Diego does the communication with the publishers.
This is not the core group of the first year; every year, the group changes; people come and go.
It started one year when one of them told us, “I can’t pay; I don’t have the 90$ for the table; is there a way we can find an arrangement?” We said, “Yes, of course.” Before the fair happens, there is always a lot to do: picking the boxes, building the scaffolding, putting up the name of the publishers, and we do all of that ourselves. So they come earlier to the fair the day before, and they help us do whatever we need to do.
It became a way of functioning, and at the same time, someone was asking yesterday, “Is this something that is clear and out there?” It is not, and I think that’s a mistake. I kept on thinking about it: “How can that be something that you could really communicate?”
Yes, but it would also raise other questions, like “How do you select projects that you say yes to?” And I am very sure that there would be a very large number of requests for this.
Yes, always.
We always try to have at least 50% Mexican publishers. Then, of course, one of the reasons why we wanted to start the fair, like Bia [Bittencourt] was saying yesterday, was because there was not really access to certain types of books. So we really wanted to read those books and see them, so that’s one of the reasons why we started the fair.
I don’t know if I would put it exactly like this. It’s not like we think, “This is what people should be reading.” But it’s more like building a discourse, not only through the public programme but also through the publishers and what they are talking about.
You mean a dialogue that feeds off from there?
What has been happening with the public programme is that it has brought the fair closer to my practice, which has nothing to do with publication. It has more to do with thinking and displacing the discourse that I would find in other public programmes that were going in circles. I felt that there were so many publishers already working on so many interesting topics, and we were still addressing their publishing practices when we could engage with larger questions without forgetting where we are.
I think that Latin America has always been what we have the most trouble bringing, because it is super large, and in a way, it is more difficult to come from the south. That is also why the business models are so different: Here in Europe, it is so easy to find funding. Well, maybe it is not that easy, but compared to Mexico, it is still easier. In Mexico or in Latin America, it is much harder, and many of these projects don’t get funding. So it is very difficult for them to invest in something like this.
No, I have never been to any fairs in Latin America, and I have to confess that I haven’t been to many book fairs at all. It is as if I am part of this world, but I am not in this world at all.
Exactly
I discussed it yesterday with Sergej [Vutuc] and I think that if I had to name a book fair, it would be one that my students made; it is called Print’n’Trip. It’s in Morelia where I teach. It’s really nice, because I realise that I can use the fairs and the public programme not only to connect with my academic world but also to connect my students to that world, to the art world. I really like the idea of “books are bridges,” because in this case it works really well. My students are able to connect not only with the publishers but also with institutions; some of them are already working with museums. And we always have a stand with student work; for me, it is a way that they can encounter other realities; they don’t come from Mexico City, and many of them would have difficulties showing their work in that kind of places. So at the university, we have a Riso, we have the paper, we have everything that they can use, and then we’re able to enter this other world through this. It has been very good for them.
Yes, there was the Corona flop; they sponsored us and gave us way too many beers—a whole truck of Corona beer—and it took us years to get rid of them.
I would say that for me, the care package is spaces for connections. Our care package is a sofa, resting areas where you can find good food, and water. Not just a chair, something comfortable where you can rest. That’s what I love the most about the gallery that we work with: the space is divided; the first space is where the public programme happens, and the other one is where the fair is, and there’s an in-between space that is full of couches, and then there’s the kitchen space. That’s where I met Eric, because he had a collective with Kit from Publish and Be Damned, who cooked at the fair. It was their way of approaching publishing through food. That was very nice, with the resting space and the food, that’s care.
It is mixed. Many of their artists work with publications, so it is not completely separated. And at the same time, they are very different from many organisations that we have worked with. Even though most of their artists work with different types of publications and are very playful about it, they have never pushed an agenda or pushed for one of their artists to be in the public program. On the other side, having them trust us with the space has been the best experience that we’ve had in all the places that we’ve worked before. Even though they have their own public and their own artists, it does relate to the fair, but it has never been an imposition when it could easily be.
No.
Of course. The museums had a very clear agenda; we gave you this, so you have to do this talk and this talk. While here, we have carte blanche. It feels really good to be trusted and not to be seen as a threat, like in the museum, where they thought we were going to destroy everything and that our public was not responsible. Here, it is completely different.