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Par email,

le 24 novembre 2017

J’ai rencontré Céline Huyghebaert de nombreuses années après que nous ayons collaboré sur le numéro d’ARTZINES sur Montréal. J’avais repéré les articles de son blog Fadingpaper sur les publications d’artistes et je l’ai contactée pour qu’elle me serve de relais auprès de la scène montréalaise que je n’avais pas eu le temps d’explorer lors d’un court séjour. À cette époque, Céline était en cours de rédaction d’un doctorat en recherche création qui donnera lieu à son livre Le Drap Blanc et au projet du même nom. Au cours de notre collaboration, j’en profitais pour recueillir son point de vue sur une scène qu’elle fréquentait de l’intérieur et documentait depuis déjà quelques années.
Salut Céline. Tu es artiste et écrivaine, mais si je t’ai contacté, c’est en raison de ton activité d’observatrice du milieu des publications d’artistes à Montréal et au Québec. Pour commencer, comment qualifierais-tu le milieu montréalais du zine ?

Le milieu du zine à Montréal est un espace hyperactif constitué de micro-bulles de production inspirées autant par la vague du Do It Yourself nord-américain que par le fanzinat européen, ou par les courants conceptuels, la BD et la culture underground qui viennent d’un peu partout. Mais la particularité des micro-éditions ici, c’est que le français et l’anglais s’y côtoient. Si ces deux langues se contentent parfois de cohabiter sans se mélanger, en utilisant chacune de son côté les réseaux de diffusion qui lui sont propres, il arrive plus souvent qu’on ne le pense qu’elles se frottent l’une à l’autre et se rencontrent à l’intérieur de collectifs d’artistes ou de foires. Expozine vient nous le prouver chaque année, avec ses 300 exposants anglophones et francophones qui s’entassent dans un sous-sol d’église pendant deux jours de novembre pour faire connaître leurs productions, souvent terminées dans la nuit, à grands renforts de cafés.

Tu veux dire que chacun bosse de son côté ici, ou est-ce qu’il y a des projets collectifs ?

Si on écrit seul, si on fabrique aussi ses zines souvent seul, leur diffusion reste une affaire collective. La micro-édition possède des réseaux qui sortent ses auteurs de leur isolement et permettent de recomposer des familles au gré des affinités. À ce sujet, on ne peut que souligner le rôle fondamental qu’a joué Louis Rastelli. C’est à lui que l’on doit le fanzine montréalais Fish Piss qui a donné, de 1996 à 2004, l’occasion à de nombreux artistes de la BD, des arts visuels, de la poésie ou de la musique de s’exprimer. Et c’est aussi lui qui est derrière le salon de l’édition indépendante Expozine et les machines Distroboto, ces distributrices d’art à deux piastres disséminées dans les cafés et les maisons de la culture.

OK, je vois. Est-ce qu’on trouve beaucoup de fanzines d’artistes ? Dans mes recherches, je m’intéresse aux publications qui sont à la fois des publications d’artistes, comme des livres d’artistes, mais qui ont aussi une dimension Do It Yourself ?

Une autre des grandes particularités de Montréal, c’est peut-être la place que le zine d’artiste occupe : il est souvent considéré comme une œuvre d’art à part entière. Le travail d’artistes locaux qui se sont produits autant au sein des structures institutionnelles reconnues que dans les sphères de la contre-culture — comme Julie Doucet, Andrée-Anne Dupuis-Bourret, Pascaline J. Knight, Jamie Q, Diane Obomsawin, Guillaume Adjutor Provost ou Sébastien Dulude, pour ne citer qu’eux — ont permis de décloisonner les genres et ont aidé à donner au fanzine une valeur artistique. Et même si des artistes qui sont restés en marge des institutions, comme Simon Bossé ou Geneviève Castrée, artiste à 10 bras qui est morte trop jeune, ont acquis une reconnaissance importante dans le milieu de l’art. C’est que la contre-culture a pu étonnamment compter ici sur l’aide de plusieurs institutions : la Bibliothèque nationale du Québec a depuis longtemps encouragé la conservation des zines au même titre que les livres d’artiste et les estampes, et des centres d’artiste comme Arprim ou les ateliers Graff ont offert des espaces de production et de diffusion importants en plus d’être des lieux rassembleurs pour les artistes qui utilisent les arts d’impression.

Comment est-ce que ces artistes diffusent leur travail ?

Bien sûr, les espaces de diffusion se renouvellent constamment et, avec eux, notre conception du zine. Certains ferment leurs portes. Un coup dur pour le zine à Montréal, c’est la fermeture toute récente de la librairie Formats. Ses libraires, Marie-Douce St-Jacques, Danny Gaudreault et Marc Gagnon, en avaient fait un lieu unique à Montréal et même au Canada grâce à une sélection d’ouvrages sans compromis. Formats était « la » librairie de toute une communauté d’artistes, et d’artistes fanzineux qui pouvaient y vendre et y découvrir les productions locales, organiser des lancements de livres et même des petites expositions. D’autres participent à véhiculer une vision plus léchée du zine d’artiste. C’est ce que fait, par exemple, le Collectif Blanc avec son travail de commissariat de livres publié sur sa page Facebook mais aussi matérialisé dans des lieux d’exposition. Sa démarche nourrit d’ailleurs la grosse réflexion qui a lieu actuellement sur la question de l’exposition du zine et du livre d’artiste. En effet, si l’on se réfère à l’origine du livre d’artiste, il est apparu dans les années 1960 pour rejeter les réseaux de diffusion de l’art, en ayant recours au langage et au livre sériel. Descendant du livre d’artiste, le zine d’artiste est pris dans le même paradoxe : comment faire reconnaître sa légitimité sans qu’il perde son rapport indiscipliné au monde de l’art ?

Comment vois-tu le lien entre la culture très horizontale du zine et un monde de l’art qui veut souvent hiérarchiser, classer et mettre en avant certains artistes plutôt que d’autres ?

La place du zine dans le monde de l’art n’est jamais simple, et jamais résolue. D’un point de vue plus personnel, en prenant comme exemple ma propre production qui se diffuse autant dans des centres d’artistes que dans des foires, dans des bars ou même dans la rue, je pense que la question de la place du zine ne se pose pas seulement d’un point de vue institutionnel, mais aussi personnel. Et qu’il importe en tant qu’artiste de faire des choix de production ou de diffusion qui permettent au zine de conserver son identité problématique. Dans la lignée des livres d’artiste, les zines parlent un langage qui refuse le marché de l’art tel qu’il fonctionne, en questionne les prix et l’uniformité, interroge l’unicité de l’œuvre et refuse la frilosité des modes de diffusion institutionnalisés.

Nous allons nous retrouver avec une sélection entièrement féminine pour ce numéro sur Montréal, tu as fait exprès ?

J’espère que tout le monde pourra se retrouver dans la sélection d’artistes que tu m’as invitée à faire pour ce numéro d’ARTZINES. Toutes des femmes, même s’il n’y a bien sûr pas que des femmes dans le milieu du zine à Montréal. Mais puisqu’on ne peut pas parler de tout le monde et qu’il fallait choisir, pourquoi ne pas parler (et faire parler) de celles dont on parle toujours un peu moins que des autres ? Des femmes qui se servent de la marge et de la liberté qu’elle offre pour faire des zines qu’on n’aime jamais autant que quand on finit par réussir à les avoir entre les mains et à en tourner les pages.

By email,

November 24th, 2017

I met Céline Huyghebaert many years after we collaborated on the Montreal issue of ARTZINES. I had noticed the articles on her blog, Fadingpaper, about artists’ publications, and I contacted her to get in touch with the Montreal scene I hadn’t had enough time to explore during a short stay. At the time, Céline was in the process of writing a practice-based doctoral research project that would lead to her book Le Drap Blanc and the project of the same name. During our collaboration, I took the opportunity to gather her point of view on a scene that she had been experiencing from the inside and documenting for several years already.
Hi Céline. You’re an artist and writer, but I contacted you because of your work as an observer of the Montreal and Quebec artist publishing scene. To begin with, how would you describe the Montreal zine scene?

The Montreal zine scene is a hyperactive space made up of micro-bubbles of production inspired as much by the North American Do It Yourself wave as by the European way of making zines, or by conceptual currents, comics, and underground culture from everywhere. But what’s special about small presses here is that French and English are used side by side. While these two languages sometimes cohabit without mixing, each using its own distribution networks, it happens more often than you think that they rub up against each other and meet within artists’ collectives or fairs. Expozine proves it every year, with its 300 English and French speaking exhibitors cramming into a church basement for two days in November to showcase their work, which is often finished in the middle of the night with plenty of coffee.

Do you mean that people work on their own here, or are there collective projects?

Although we write on our own and often produce our zines on our own, distributing them remains a collective affair. Self-publishing has networks that bring authors out of their isolation and allow families to be brought back together on an affinity basis. Thereon, we can only insist on the fundamental role played by Louis Rastelli. He was the driving force behind the Montreal fanzine Fish Piss, which from 1996 to 2004 brought together artists in the fields of comics, visual arts, poetry, and music, giving them the chance to express themselves. He’s also behind the independent publishing fair Expozine and the Distroboto Machines, those art vending coin machines placed in cafés and cultural centres.

OK, I see. Are there many artists’ zines? In my research, I’m interested in publications that are both artists’ publications, like artists’ books, but that also have this do-it-yourself dimension?

Another of the characteristics of Montreal is perhaps the place that the artist’s zine occupies; it is often considered a work of art in itself. The work of local artists who have shown both within recognised institutional structures and in the spheres of counter-culture, such as Julie Doucet, Andrée-Anne Dupuis-Bourret, Pascaline J. Knight, Jamie Q, Diane Obomsawin, Guillaume Adjutor Provost, and Sebastien Dulude, to name but a few, has helped to take down the barriers between genres and given the fanzine an artistic value. And even though artists who remained on the fringes of institutions, such as Simon Bossé or Geneviève Castrée, a 10-armed artist who died too young, have gained significant recognition in the art world. The counterculture here has surprisingly been able to count on the help of several institutions: the Bibliothèque nationale du Québec has long encouraged the conservation of zines in the same way as artists’ books and prints, and artist-run centres such as Arprim and the Graff ateliers have provided important production and distribution spaces as well as gathering places for artists who express themselves through printed arts.

How do these artists distribute their work?

Of course, distribution outlets are in constant renewal, and with them, our conception of the zine. Some are closing their doors. A major blow to the zine scene in Montreal was the recent closure of the bookshop Formats. Its booksellers, Marie-Douce St-Jacques, Danny Gaudreault, and Marc Gagnon, had made it a unique place in Montreal, and even in Canada, thanks to an uncompromising selection of books. Formats was ‘the’ bookshop for a whole community of artists and zine-making artists, who could sell and discover local productions there, organise book launches, and even have small exhibitions. Other places are conveying a more polished vision of the artist’s zine. This is what the Collectif Blanc is doing, for example, with its practice of book curating published on its Facebook page but also displayed in exhibition spaces. Their approach also feeds into the major debate currently taking place on the question of how to exhibit zines and artists’ books. If we look back at the origins of the artist’s book, it emerged in the 1960s as a way of rejecting usual art distribution networks through the use of language and the seriality of books. As a descendant of the artist’s book, the artist’s zine is caught up in the same paradox: how to gain recognition for its legitimacy without losing its unruly relationship to the art world?

How do you see the link between the very horizontal culture of the zine and an art world that often wants to hierarchize, classify, and highlight certain artists rather than others?

The place of the zine in the art world is never simple and never resolved. From a more personal point of view, I can take my own work as an example. I show it just as much in artist-run centres as at fairs, in bars, and even in the street. I think that the question of the place of the zine arises not only from an institutional point of view but also from a personal one. And as an artist, it’s important to make choices about production and distribution that allow the zine to keep its problematic identity. In the tradition of artists’ books, zines speak a language that rejects the art market as it functions, questions its prices and uniformity, questions the uniqueness of the work, and rejects the reluctance of institutionalised modes of distribution.

We’re going to end up with an all-female selection for this issue on Montreal; did you do that on purpose?

I hope that everyone will be able to find their way around the selection of artists that you invited me to make for this issue of ARTZINES. They’re all women, although, of course, the Montreal zine scene isn’t all women. But since we can’t talk about everyone and we had to choose, why not talk about (and get people to talk about) the ones that are always talked about a little less? Women who use the margins and the freedom they offer to make zines that we never love as much as when we hold them in our hands and turn their pages.

Relâchez nos cadavres
Pascaline J. Knight & Andréa C. Henter [Céline Huyghebaert], *Relâchez nos cadavres*, Montréal, auto-édité, 2014, 10 x 13,5 cm, Risographie, 20 pp. Pascaline J. Knight & Andréa C. Henter [Céline Huyghebaert], *Relâchez nos cadavres$, Montréal, self-published, 2014, 10 x 13,5 cm, Riso printed, 20 pp.