Rotterdam,
le 15 juillet 2022
Je m’appelle Bia. Je n’ai plus de foire. Je n’ai plus de librairie.
Ma foire était Feira Plana, à São Paulo, au Brésil.
Je n’aime pas parler en public, mais heureusement, je connais quelques personnes ici, alors j’ai l’impression de parler en famille.
Plana a commencé en 2012. Elle a vu le jour parce que je voulais copier la New York Art Book Fair. J’étais très prétentieuse au début, et aussi parce qu’il n’y avait jamais eu de foire de livres d’art au Brésil. À l’époque, j’éditais mes propres fanzines.
J’avais une idée pour ce projet et je pensais que quelqu’un me dirait : « Voici l’argent, voici l’espace, fais-le ! ». Mais ça ne s’est pas passé comme ça.
J’avais quelque chose de très punk en tête. Je pensais que la foire serait gratuite pour tout le monde, qu’elle serait ouverte et bla-bla.
Un musée m’a donné son jardin pour faire la foire, et je me suis dit, Oh mon dieu, c’est trop d’espace, qu’est-ce que je vais en faire ? Puis, ce sera facile, j’inviterai les gens et je ferai une foire.
Lorsque j’ai commencé, je n’avais jamais organisé de foire avant et j’ai commencé à comprendre ce que c’était que de faire une foire, que ce n’était pas si simple, et que cela coûterait de l’argent. Le musée ne voulait pas me donner d’argent non plus, ils pensaient que j’avais tout calculé, mais ce n’était pas le cas, je n’avais pas de sponsors. Je ne savais pas quoi faire.
J’ai pleuré !
Puis le musée m’a donné 1000 réais… Ça fait environ 100 dollars [rires], et j’ai dit génial ! Avec cet argent, j’ai pu acheter des tréteaux et du carton, car le bois était trop cher. La foire était gratuite pour les éditeurs, donc il n’y avait pas d’argent.
J’ai acheté le carton et j’ai pensé que tout irait bien — mais non !
Laissez-moi vous expliquer l’histoire de la foire à travers les tables utilisées au cours des six années de la foire.
Les premières tables étaient en carton. Ce qui s’est passé lors de cette foire, c’est que les tables se sont affaissées sous le poids des livres. Tout tombait par terre. Les exposants ont mis leurs livres sous les tables et l’esthétique de la foire était un bric-à-brac de cartons partout. Mais c’était très chouette parce que je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait beaucoup de monde, peut-être 100 personnes, mais 2 000 personnes sont venues le samedi. C’était incroyable parce que les gens découvraient quelque chose. Le musée nous avait donné le pire endroit. C’était le couloir des toilettes où 2 000 personnes se sont serrées les unes contre les autres.
L’année suivante, j’ai acheté des tables, de vraies tables, mais faites d’un bois très spécifique, je ne sais pas si ça existe ici. C’est du bois très bon marché que les ouvriers utilisent pour recouvrir les constructions. Peut-être de l’aggloméré. À São Paulo, il est toujours rose. Je pense qu’il est recouvert de quelque chose qui lui permet de résister à la pluie, parce qu’on en trouve toujours en extérieur. Je l’ai acheté parce que c’était le bois le moins cher.
J’avais de nouveau 1000 réais. En plus, à cause de tous les hipsters de la dernière foire, Adidas a décidé de sponsoriser ma foire et ils m’ont donné 1000 aussi, mais ils voulaient aussi installer un gros ballon, et j’ai alors appris à me battre contre les horribles envies des sponsors. Le problème avec les tables de cette foire, c’était la substance rose sur les tables. Tout le monde les touchait et, à la fin, il y avait du rose sur tout le monde – et ça ne part pas au lavage. Les livres, ça allait, mais les gens transpiraient et touchaient les tables, ce qui a créé un terrible bazar.
En 2014, c’était super, parce qu’ils m’ont donné tout le musée. Il y avait de plus en plus de monde chaque année et les gens se plaignaient de l’espace étroit. En plus, les sponsors m’ont donné plus d’argent et j’ai pu commencer à inviter des gens à donner des conférences, des ateliers et des tutoriels. Cette année-là, pour fabriquer les tables, j’ai utilisé les anciennes installations et le matériel de l’exposition qui se trouvait auparavant dans le musée, dans les poubelles. C’était très joli parce que c’était très coloré avec des formes bizarres. Mais utiliser les déchets n’est pas si facile. J’ai dû engager une équipe de personnes qui travaillent le bois pour produire quelque chose à partir des déchets.
Cette année, j’ai pris du plaisir pour la première fois. J’étais triste que les gens apportent des choses bizarres pour couvrir tout le dur travail que j’avais fait pour construire les tables. Le thème de cette année était le noir et blanc, et c’était magnifique dans la documentation parce que le photographe a tout pris en noir et blanc aussi : on dirait qu’il fait toujours nuit dans la foire.
Il s’agit de l’édition la plus massive de la foire Plana. Certains d’entre vous étaient présents. J’ai décidé qu’il fallait que je fasse ça bien. Je ne pouvais rester au musée, j’avais tellement de monde qui venait chaque année. J’ai décidé de déménager dans un endroit plus grand, le bâtiment de la Biennale conçu par Oscar Niemeyer dans le parc Ibirapuera. C’est grand - c’était plus pour mon ego que pour la foire, et c’était un cauchemar. Tout était trois fois plus cher. J’ai passé des semaines et des semaines sans dormir. Pour les gens qui étaient là, je pense que c’était chouette. Et les tables avaient des prix différents. J’ai commencé à faire payer les tables parce que tout était plus cher que ce truc de punk que je devais oublier.
Donc, les tables. J’ai construit les tables avec les gens qui vendent illégalement des choses bon marché dans les rues au Brésil. Lorsque la police arrive, ils enroulent rapidement la table et disent : « Je ne fais rien. » C’est donc des tables pliables géniales. J’ai construit avec eux environ 200 tables. Des plus grandes et des plus petites, et à la fin de la foire, on pouvait acheter une table au prix que je les avais payées. C’était très beau. Le plastique qui recouvre la table s’enroule autour lorsqu’elle est pliée. C’est comme une table de camping, mais elle n’est pas très bien faite. C’était très compliqué de produire autant de tables.
Cette année était énorme, j’ai eu environ 25 000 visiteurs. Je me rappelle que les éditeurs me disaient qu’ils vendaient tout ce qu’ils avaient et qu’ils avaient tout vendu après les premiers jours. Ils m’ont dit que les gens venaient à la foire avec des listes de ce qu’ils voulaient acheter. J’étais la seule pauvre dans cette affaire, tous les autres étaient riches ! Et je me suis dit : « Et puis merde ! Pendant des années, ça m’a gâché la vie ! »
J’étais épuisée, et j’ai quand même fait une dernière édition, parce que je pensais que ce n’était pas possible que ce soit toujours comme ça. Je pensais que ce n’était pas possible que je sois toujours dans cette situation. Maintenant, je suis un peu plus intelligente. Je vais faire tout ce travail, je ferai des bénéfices et je ferai cette édition pour payer mes dettes. Cette année, j’ai organisé l’événement dans un cinéma doté d’un jardin extraordinaire. Au lieu d’être dans une tente classique, nous avions un grand pique-nique, et beaucoup de choses étaient très bien, mais les choses ont commencé à changer.
Je me souviens qu’il y a eu une manifestation pour réclamer plus d’artistes afro-descendants. J’avais du mal à comprendre la situation et je faisais de mon mieux. J’essayais d’intégrer tout le monde. J’avais un programme et j’essayais de payer tout le monde. J’étais malade. Je me suis dit que je ne pouvais plus faire ça. À ce moment-là, j’avais aussi Casa Plana, un espace de librairie au Brésil – comme PrintRoom – et j’ai décidé de le quitter, ainsi que le Brésil, car j’avais une dette d’environ 100 000 réais pour la gestion de cet espace et de la foire. J’ai quitté le Brésil en espérant que ça disparaisse, mais ça n’a pas été le cas. Trois ans après avoir quitté le Brésil, je suis enfin clean : j’ai remboursé mes dettes ! Et je ne veux plus faire de foires ! C’était drôle et super sympa, mais très dur. Je pense que les gens qui font des foires savent à quel point c’est difficile. Ce n’est jamais parfait. Mais nous faisons de notre mieux.
Rotterdam,
July 15th, 2022
I’m Bia. I don’t have a fair anymore. I don’t have a bookshop anymore.
My fair was Feira Plana is São Paulo, Brazil.
I don’t like speaking in public, but fortunately I know a few people here, so it feels like speaking in family.
Plana started in 2012. It started because I wanted to copy the New York Art Book Fair. I was very pretentious in the beginning, also because there had never been an art book fair in Brazil. I used to publish my own fanzines.
I had an idea for the project. I thought someone would say, “Here is the money; here is the space; do it!” But it did not happen. I had a very punk thing in my mind. I thought that the fair would be free for everyone; it would be open, and blah, blah.
A museum gave me their garden to do the fair, and I thought, Oh my god, it’s too much space; what will I do? But it will be easy; I will just invite people, and I will have a fair.
So, when I started, I had never put on a fair before, and I began to understand what it was to do a fair, that it was not that simple, and that it would cost money. The museum did not want to give any money to me either; they thought that I had calculated everything, but I hadn’t; I had no sponsors. I didn’t know what to do.
I cried!
Then the museum gave me 1000 reais… This is around 100 dollars [laughs], and I was like, yes! And with this money, I could buy some sawhorses and some cardboard because wood was too expensive. The fair was free for the publishers, so the money didn’t exist.
I bought the cardboard, and I thought it would be fine—but no!
Let me explain the history of the fair through the tables that were used through the seven years of the fair.
The first tables were made of cardboard. What happened at that fair was that the tables drooped with the weight of the books. Everything was falling on the floor. So, people put the books under the tables, and the aesthetic of the fair was a mess of boxes everywhere. But it was very nice because I wasn’t expecting many people—maybe 100 people—but 2,000 people came on the Saturday. It was amazing because people discovered something. The museum gave me the worst part. It was the corridor to the bathrooms where 2,000 people squeezed in together.
The next year I bought tables, real tables, but made from a very specific wood, I don’t know if it exists here. It’s very cheap wood that workers use to cover construction. Maybe chipboard. In São Paulo, it is always pink. I think it is covered in something that makes it resist the rain because it’s always outside. I bought it because it was the cheapest wood.
I had 1000 again. Also, because of all the hipsters at the last fair, Adidas decided to sponsor my fair, and they gave me 1000 too, but they also wanted to put up a big balloon, and then I learned to fight against the terrible desires of the sponsors. The trouble with tables at this fair was the pink substance on the tables. Everyone was touching them, and, in the end, there was pink on everyone—and it does not wash out. The books were fine, but people sweating and touching the tables created a terrible mess.
In 2014, it was very nice because they gave me the whole museum. There was more and more people each year, and people were complaining about the tight space. Also, the sponsors gave me more money, and I could start to invite people to give talks, workshops, and tutorials. That year, to make the tables, I used the old installation and material from the exhibition that was in the museum beforehand, it was in the trash. And it was very nice because it was very colourful and made of weird shapes. But using the garbage is not that easy because I had to hire a team of people who worked with wood to produce something from the trash.
This year felt great for the first time. I was sad that people were bringing weird things to cover all the hard work I had put in to build the tables. The thematic of this one was black and white, and it looked amazing in the documentation because the photographer took everything in black and white too—it looks like it is always night in the fair.
This one was a massive edition of the Plana fair. Some of you guys were there. I decided that I needed to do it nice. I cannot be in the museum anymore. I had so many people coming each year. I decided to move to a larger location, the Bienal building designed by Oscar Niemeyer in the Ibirapuera park. It’s big—it was more for my ego as much as for the fair, and it was a nightmare. Everything was triple as expensive. I was weeks and weeks without sleep. For the people there, I think it was nice. And the tables were different prices. I started to charge for the tables because everything was more expensive, that this punk thing I needed to forget. So, the tables.
I built the tables with the people that sell cheap stuff illegally on the streets of Brazil. When the police come, they just quickly roll up the table and say, “I’m not doing anything.” So, it’s like a very crazy foldable table. I built with them around 200 tables. Bigger and smaller ones, and at the end of the fair, you could buy a table for the price that I paid for them. It was very beautiful. The plastic that covers the table wraps around when it is folded. So, it’s like a camping table, but it’s not very well made. It was very hard to produce this many tables.
This year was massive. I had around 25,000 people visit. I remember that publishers were telling me they were selling all of their things and that they sold everything after the first days. They told me people were coming to the fair with a list of what they wanted to buy. I was the only one who was poor in this situation; everyone else was rich! And I thought, “Fuck it! For years, it was ruining my life!”
I was very tired, and I still did a last edition because I thought, “It’s not possible that. It is always like this. It’s not possible that I will always be in this situation. Now I am a little smarter. I will do all this work, I will profit and I will do this edition to pay my debts.” This year I did it in a cinema with an amazing garden. Instead of being in a classic tent we had a big picnic, and many things were very nice, but things started to change. I remember there was a protest for more Afro-descendant artists. It was hard for me to understand the situation, and I was trying my best. I was trying to integrate everyone. I had a programme, and I was trying to pay everyone. I was sick. I thought I couldn’t do this anymore. Also, in that moment, I had Casa Plana, it was a bookshop space in Brazil, like PrintRoom, and I decided to leave it and Brazil as I had around 100k debt from running this and the fair. I left Brazil hoping that it might disappear, but it didn’t. Three years after leaving Brazil, I am finally clean, I have cleared my debt! And I don’t want to do fairs anymore! It was funny and super nice, but very tough. I think people who do fairs know how tough it is. It is never perfect. But we try our best.